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Lire « Premières secousses » des Soulèvements de la terre

jeudi 18 juillet 2024, par Courant Alternatif


Nous reproduisons ici une présentation de Premières secousses des Soulèvements de la terre, parue dans La Grand Goule (GG) journal anarchiste communiste du Poitou, qui invite les lecteurs à discuter des propositions et des analyses proposées dans ce livre.
Une invitation bienvenue car, comme le dit la GG, il est rare que dans les milieux révolutionnaires soient abordées concrètement les questions de stratégie. Depuis que ce livre est paru, Les Soulèvements semble incliner vers une ligne dans laquelle l’antifascisme justifierait de nouvelles alliances. Avec des fractions antifascistes de la bourgeoisie ? Entre des fractions du prolétariat ? Les deux en même temps, ce qui expliquerait l’importance « cruciale » qu’ils accordent à ces élections ? Nous verrons bien. Les fronts ne nous disent rien qui vaille quand ils sont matérialisés par des « alliances » entre des partis qui n’auront de cesse, une fois au pouvoir, que de phagocyter le seul front qui vaille à nos yeux, celui des exploités sur le terrain des luttes contre la bourgeoisie. Le seul front qui permettrait de jeter le fascisme ou le post-fascisme aux poubelles de l’histoire.

Il n’est pas aisé de livrer une critique collective d’un livre qui vient à peine de sortir et qui aborde des questions qui nous touchent de très près. D’autant qu’il est rare que soient abordés, au sein des mouvances révolutionnaires, des questions de stratégie en lien avec des analyses de la période que nous traversons, autrement que par d’intemporels rabâchages idéologiques qui ont montré leurs limites.

En attendant des points de vue plus collectifs issus de discussions à venir (c’est déjà un premier mérite du livre que d’en susciter), La Grand Goule se fera un plaisir de publier les points de vue que des lecteurs voudront bien nous faire parvenir.

De mon point de vue, le livre est à la fois stimulant et troublant.

Stimulant car si Les Soulèvements se définissent comme « concentrés sur la défense de la terre et de l’eau », ils ne font pas de leur lutte l’élément central de la critique sociale, comme ont tendance à le faire de nombreux activistes de luttes dites spécifiques. Les Soulèvements se positionnent comme un des éléments qui secoue la France ces derniers temps, des Gilets Jaunes au mouvement contre la réforme des retraites, des émeutes suite au meurtre de Nahel au récent mouvement paysan avec toutes ses ambiguïtés.

Stimulant car ils prônent de renouer avec l’action directe qui est en quelque sorte « inscrite dans l’ADN » des anarchistes dans le sens d’agir pour et par soi-même sans médiations ni guide suprême.

Stimulant car il s’agit pour eux, ils le proclament dès le début, de « faire redescendre l’écologie sur terre », c’est-à-dire « renoncer à sauver la planète » (une façon pour le moins idéaliste d’humaniser la terre). Elle nous survivra et n’a pas besoin de nous, affirment les Soulèvements. Mieux vaut s’ancrer dans des luttes foncières et territoriales plutôt que d’aller à la pêche aux institutions nationales ou internationales pour qu’elles changent de cap et prennent de bonnes décisions.

Troublant

Rechercher et promouvoir l’horizontalité est une démarche qui prend un certain essor depuis plus de 25 ans dans l’ensemble de la société et particulièrement dans le monde des conflits sociaux. Résultat bien compréhensible dans un pays qui a fait de la verticalité un modèle tant pour l’État « républicain » que pour le mouvement « socialiste » : centralisme et bureaucratie n’ont pas manqué de susciter des rejets suite à l’effondrement du « socialisme réel » et au constat que la démocratie parlementaire et le libéralisme ne font qu’engendrer une succession de guerres toutes plus meurtrières les unes que les autres.

Les Soulèvements, à l’instar historiquement du mouvement libertaire dans son ensemble, se situent dans cette recherche d’horizontalité. Ils pensent cependant qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : l’horizontalité doit, certes, être cultivée mais elle a ses faiblesses en matière de capacité de décisions et de compréhension politique globale. Par exemple, le mouvement qui se dessine actuellement est divers et il faut donc en assumer l’hétérogénéité, c’est ce qui fait et fera sa force. Mais il faut être capable quand même de trancher quand cela est nécessaire à certains moments pour marquer la frontière avec l’ennemi. D’où la nécessité d’accepter un minimum, de verticalité.

Bien sûr Les Soulèvements considèrent que cela présente quelques dangers qu’il ne faut pas méconnaître mais que c’est en articulant les deux de manière « intelligente » que l’on avancera. Comment ? C’est là que manquent les pistes si ce ne sont que quelques références au « senti » davantage de type psycho-sociologique et dynamique de groupe que contrôle politique direct.

Le livre se présente comme collectif, écrit et discuté par plusieurs dizaines de personnes, ce qui débouche immédiatement sur la question : mais qui sont donc Les Soulèvements ? 200 personnes au départ sur la ZAD de NDDL en janvier 2021 nous dit Premières secousses. Ou bien maintenant les centaines (milliers) qui s’y sont reconnus et œuvrent dans les 150 comités nouvellement créés ? Ou bien seulement les quelques dizaines qui se sont retrouvés dans une ferme, à l’abri des regards, pour mettre au point une riposte à la tentative de dissolution demandée par Darmanin ?

Il y a là un flou qui peut rester productif dans la mesure où il n’est pas souhaitable de délimiter strictement une dynamique (de toutes les façons c’est impossible), mais il doit être circonscrit et observé en permanence d’un regard critique pour éviter que des décisions qui concernent l’ensemble ne soient prises que par un petit groupe jugé plus apte. Puisqu’il y a nécessité de « former les nouvelles arrivées » nous disent les Soulèvements, quel sera le contenu de cet enseignement ?

Les auteurs du livre sont bien conscients du basculement possible vers des formes traditionnelles de domination que peuvent entraîner certaines acceptations et ils cherchent à trouver les solutions pour les éviter, ce qui assurément nous concerne tous. En effet, contourner ces obstacles ne dépend pas d’une bonne direction politique qui aurait trouvé un remède et des techniques miracle mais de la capacité collective d’un mouvement, dans, à côté et hors des Soulèvements, à nourrir cette horizontalité et à rester autonome tout en prenant en compte la nécessité politique d’articuler le local avec la lutte globale contre un système que nous voulons détruire.

Martin

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