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CA 334 novembre 2023

Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes

Vanina (Acratie, octobre 2023)

mardi 7 novembre 2023, par Courant Alternatif


Voir en ligne : Editions Acratie

Ce livre est rédigé par une militante communiste libertaire. Il a pour axe principal une critique de la « théorie queer » et des analyses intersectionnelles, à la mode dans les courants militants d’extrême gauche et même libertaires. Actuellement, toute critique du « queer » tend à y être volontairement assimilée à l’extrême droite, justifiant les actes de violence contre qui la porte. Vanina sait donc qu’elle risque d’en subir «  des désagréments ». Et c’est donc un livre militant salutaire d’une camarade inscrite dans le courant anarchiste depuis le milieu des années 1970. Elle n’a pas la prétention de développer des aspects théoriques mais plutôt, posant un point de vue matérialiste militant, de développer son regard personnel sur différents axes associés à la « théorie queer » afin d’inciter à la réflexion dans l’objectif de mieux lutter contre « le système capitaliste et patriarcal ».
Pour Vanina, le capitalisme et le patriarcat sont deux systèmes différents, mais le premier s’appuie sur le second et ils sont donc à combattre ensemble. Sur cette base, elle revient sur le mouvement dit féministe actuellement dominant, ses cadres théoriques, son vocabulaire. Les chapitres du livre sont thématiques. Il se lit très facilement car le discours tenu rappelle, de façon claire, en ligne de fond l’évolution des rapports politiques et sociaux. Par ailleurs, le texte est agrémenté d’une multitude de citations qui, analysées de façon lucide et intelligible, donnent de la chair à des raisonnements souvent trop abstraits dans d’autres ouvrages.

Le premier chapitre revient sur l’histoire du mouvement féministe avec ses différents courants. Vanina rappelle qu’au début des années 1970 « les hommes et les femmes sont [considérés comme] deux catégories qui composent la société humaine et qui se distinguent par leurs organes sexuels. C’est à partir de cette différence physiologique que le système d’oppression patriarcal a assis la domination des hommes sur les femmes ». Le chapitre 2 revient sur le postmodernisme, courant de pensée où c’est le discours qui forge la réalité, et donc il faudrait déconstruire les discours pour redéfinir le réel. Par une lecture historique et politique, Vanina montre la convergence de vues entre le postmodernisme et le néolibéralisme  : le courant postmoderniste critique tout projet politique d’envergure, sacrifiant la classe sociale à l’individu, les raisonnements se centrent dès lors sur la personne et ses émotions, oubliant les structures sociales et les classes sociales ; en conséquence, l’objectif devient d’améliorer l’existant plutôt que de le chambouler. Le troisième chapitre pose une critique de l’intersectionnalité telle que pratiquée aujourd’hui. Si l’intersectionnalité a raison de considérer que dans la société coexistent de multiples rapports d’oppression, ce cadre théorique renforce dans sa pratique militante l’atomisation qui empêche une conscience collective de contestation contre les structures sociales capitalistes. Le quatrième revient sur les développements théoriques de Butler pour qui le genre construit le sexe. L’objectif de Butler est de brouiller les identités de genre et de sexe, théorie fondatrice de ce qui deviendra la « pensée queer ». Vanina expose avec nuance et de façon intelligible une critique de ce que Butler expose. Les deux chapitres suivants questionnent donc la « théorie queer ». Pour cette dernière, l’ennemi devient l’hétéronormativité. Le « queer », qu’il est difficile de définir tellement ce terme est approprié de différentes ma- nières, renvoie en quelque sorte à un réformisme citoyenniste sous prétexte d’un nouvel insurrectionnalisme. En effet, les transgressions, affirmées radica- les, impulsées par le «  queer » au travers de la déconstruction du genre se veulent le levier d’une transformation radicale de la société, mais sont en définitive bien inoffensives pour modifier les rapports sociaux. Ce courant, essentiellement com-posé d’intellectuel·les ou de personnes issues des classes moyennes, tend à ignorer l’importance de la sexualité et de la procréation dans l’oppression des femmes. Tout le vocabulaire est modifié car aujourd’hui, même au niveau institutionnel, un homme devient par simple ressenti et déclaration « femme » (« transfemme »). Il n’y a plus bipolarité sexuelle, nous sommes sur un « continuum » sexuel et chacun·e peut se définir selon son envie sur ce continuum : homme, femme, agenre, non-binaire, pansexuel… Les questions sociales sont ramenées à des reconnaissances d’identité individuelles. Vanina pose dès lors une critique de cette dilution du social dans un ensemble composite, fluide et extensible à l’infini. De là, les chapitres 7 et 8 font une synthèse de ce qu’est la « transidentité » dans le monde, permettant un regard large et clair. Sont évoqués ensuite le courant « woke » et la « cancel culture » avec tout le regard critique que l’on doit y porter. Le livre prend alors un tournant : le chapitre 9 développe le concret de la GPA dans le monde actuel et la marchandisation des utérus de femmes pauvres ; le chapitre 10 est une synthèse actualisée et bienvenue de la réalité de l’oppression et l’exploitation des femmes sur le terrain socio-économique ; le chapitre 11 offre un panorama des mouvements féministes dans le monde, avec toutes leurs disparités sociales et politiques. L’autrice questionne, dans le dernier chapitre, les limites des tentatives de convergence entre matérialisme et intersectionnalité, marxisme et « queer ».

Affiche polémique du Planning Familial sur les « hommes enceints »

La conclusion est un appel à dépasser les théories postmodernes en vogue aujourd’hui. Il faut noter que le regard est toujours social et politique, ainsi Vanina ne pose pas de critique sur le choix individuel d’une personne qui décide de « transitionner » vers une autre « identité de genre », mais questionne les dynamiques sociales et politiques derrière ces actes individuels. La régression idéologique que marque le postmodernisme s’inscrit dans une régression sociale depuis les années 1980. Les analyses intersectionnelles ont mis au second plan la lutte des classes. La « théorie queer » « a recyclé la notion de genre en un formidable instrument contre les femmes » car elle «  n’analyse rien en termes de rapports sociaux. Elle pointe à raison l’invisibilisation de la norme hétérosexuelle, mais sans se préoccuper des structures sociales hiérarchisées qui imposent cette norme ». Or, « le combat contre le patriarcat oblige à identifier les rapports existant entre l’Etat, l’économie et des structures de pouvoir matérielles (la famille, l’école, l’entreprise, la médecine […]) et idéologiques ». L’atomisation des individus favorise la recherche des identités individuelles et permet ainsi de ne pas questionner les problèmes de fond de notre société, qui sont structuraux. Aujourd’hui, « être “révolutionnaire” paraît consister à additionner les « anti » (on est antiraciste + antisexiste + antifasciste + anticolonialiste, etc.) sans forcément chercher à avoir une vue d’ensemble ». Toutes ces théories postmodernes « reflètent en grande partie les aspirations et modes de fonctionnement autocentrés et consuméristes chers aux « classes moyennes » ». Vanina rappelle que « c’est en raison de leur sexe biologique que la plupart des femmes sont opprimées et doublement exploitées dans les sphères privée et publique ; et c’est au « sexe social » rebaptisé un temps « genre » qu’il faut se réattaquer ». Catégoriser « femmes » des hommes qui se sentent « femmes » parce que s’assimilant aux codes féminins ne sert en rien la cause des femmes, bien au contraire, car une telle approche réinscrit les femmes dans le carcan normatif du « sexe social ». S’il faut combattre l’oppression subie par des hommes qui ne se conforment pas aux normes masculines, cela ne doit pas nous amener à nier le sexe biologique à la source de l’oppression sexiste. « Le problème, avec les postmodernes, est qu’ils/elles brandissent les libertés individuelles pour « régler » des questions sociales, ne veulent voir ces questions qu’au prisme de ces libertés, et prétendent trop souvent « silencier » qui ne cède pas à leurs volontés ».
En conclusion, Vanina estime qu’« on ne réglera pas la question de l’oppression féminine en évacuant celle de l’exploitation économique. La lutte contre le capitalisme ne peut, à elle seule, venir à bout du patriarcat ; mais, sans elle, le féminisme restera dans l’impasse des leurres postmodernes ».

RV

P.-S.

Pour commander le livre chez Acratie

L’émission de radio "Vive la Sociale" (sur Fréquence Paris Plurielle) vous propose une présentation de ce livre par son autrice, et propose une synthèse du débat public qui suivi cette présentation.
Pour écouter où télécharger l’émission cliquez ici

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13 Messages

  • Je suis très déçue que vous preniez au sérieux ce genre d’écrits. Rien que dans votre résumé on y voit une multitude de poncifs réactionnaires typique des « féministes » transphobes, comme sur les « hommes qui se disent femmes sur simple déclaration », ou comment « la » théorie queer menacerait les femmes.

    Ce qu’on appelle « déconstruction » dans le cadre des études de genre c’est ni plus ni moins qu’une analyse et réfutation de l’idéologie dominante ! C’est d’ailleurs un argument basique des féministes matérialistes françaises (Delphy, Guillaumin, Mathieu, Wittig) que de voir les classes « homme » et « femmes » comme des construits avec leurs pratiques et leur histoire. De même avec les féministes américaines faisant partie du mouvement radical, comme Dworkin ou MacKinnon, que les « féministes » transphobes ironiquement aiment à citer (hors contexte). Et que dire de « l’oubli » fort pratique de personnes comme Leslie Feinberg, communiste révolutionnaire d’origine juive et populaire, non-binaire, trans, et ayant écrit plus d’un essai et livre ? Bah non on a droit au poncif « surtout de classe moyenne et supérieur ». N’importe quoi.

    Vous savez que des personnes trans, non-binaires, il y en a chez les prolos et les lumpenprolos ? Dans le placard et en souffrance, ou tentant de vivre plus ou moins à découvert, ou naviguant entre les attentes cishétéronormées (ex. comment s’habiller pour pas se faire tabasser, possible à mort, dans la rue ?). Il y a aussi le non-remboursement, ou le déremboursement, des soins pour les personnes trans, que ce type d’argument a servi et continue à servir pour que les personnes trans, déjà maltraitées par les médecins, n’aient accès à rien sans être riches : aux US avec la « féministe » transphobe originelle Janice Raymond dans les années 80 si je me souviens bien, et en ce moment au Royaume Uni. Vous nous trahissez en donnant de la place à ce brûlot réac. On a déjà assez à faire au quotidien pour pas que des gens qui supposément veulent traiter de notre oppression matérielle nous en rajoutent une couche avec des conneries pareilles, et les conséquences violentes qui en découlent.

    Clairement, pour oser publier un bidule pareil, vous devez ne RIEN connaître au sujet, et il vous faut d’urgence vous documenter — ça ou vous vous en foutez totalement et vous avez vu l’occasion de faire progresser la transphobie. Elle est belle la révolution avec des « intellectuels » pareils !

    Donc pour aller plus loin, si vous êtes de bonne foi, je recommande ces sites et textes suivants :

    - Revue trans-féministe, qui répond directement aux élucubrations couchées dans cet article (car elles sont connues depuis longtemps et se répètent) : https://questions.tf/
    - résumé de La Pensée Straight de Wittig : https://www.youtube.com/watch?v=WBc...
    - "L’empire contre-attaque — un manifeste post-transsexuel" de Sandy Stone : https://web.archive.org/web/2023110...
    - le chapitre 1 de Trouble dans le Genre de la grande méchante Judith Butler : https://www.cairn.info/revue-raison... Ça peut être dur à lire, mais elle y critique *la logique représentative libérale du féminisme dominant*, qui traiterait « les femmes » comme un groupe d’intérêt parmi d’autres ; quelle horreur postmoderno-libérale cet argument, clairement !
    - Stone Butch Blues de Feinberg gratuitement en français : https://hysteriquesetassociees.org/...

    En anglais :

    - l’essai "The Root Cause" de Dworkin : http://www.nostatusquo.com/ACLU/dwo...
    - une interview de MacKinnon : https://www.transadvocate.com/sex-g...
    - les essais de Julia Serano : https://www.juliaserano.com/writing...

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  • Commentaire technique : le lien "Pour commander le livre chez Acratie" ne fonctionne pas. Cordialement

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  • Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes

    13 novembre 2023 09:41, par Rakam le Rouge

    Merci à l’OCL pour ce texte très bien documenté et argumenté et surtout une lecture salutaire, face à l’ensablement des milieux "anti autoritaires" dans ce marasme intellectuel "post-moderne".
    Le déni de réalité et le passage de l’analyse à la prise en compte de "l’auto-déclaration" comme perception du réel relève, à mon sens du retour de la foi et de la religion face au matérialisme.
    De plus, fonder sa théorie sur la fonction performative du langage est une contradiction avec les déclarations "anti domination" du woke : le pouvoir performatif du langage n’existe que lorsque la parole est émise depuis une position de pouvoir.
    J’ai quitté l’OCL il y a quelques années, à cause d’un désaccord sur ce sujet, et je suis revenu de mes illusions : la position de l’OCL est la seule viable dans une perspective révolutionnaire.

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  • Entièrement d’accord avec le commentaire d’Evelyne !

    Il est triste de constater que bien trop de camarades dans le courant Communiste Libertaire se contente de reprendre la réthorique de l’extrême droite (comme si des personnes s’étaient déjà revendiqué de la "culture woke" et de la "cancel culture") et créent ainsi une confusion supplémentaire autour d’un sujet que pas grand monde saisie.

    Ce manque de rigueur intellectuelle illustre un réductionnisme aux questions économiques et organisationnelle de la révolution. j’entend par là que trop de sujet sont balayés car trop "postmoderne" créant ainsi l’impression chez beaucoup de personnes extérieures au communisme libertaire que la révolution ne se réduirait qu’à une destruction du pouvoir économique et politique par l’organisation du prolétariat. Il manque, à mon sens tout un pan de la réflexion, sur le role du désir de pouvoir et d’autorité dans la construction des identités de genre (pourquoi apprend on aux petites filles à pleurer en silence et aux petits garçon à exprimer leur colère par exemple). Ces questions là sont pourtant traiter de manière très intéressante dans certains travaux jugés "postmoderne".

    La phrase d’Evelyne résume très bien cette position "Vous savez que des personnes trans, non-binaires, il y en a chez les prolos et les lumpenprolos ?" On a l’impression que des fois être PD, Lesbienne, Trans, non-binaire ou juste réflechir à ces questions fait de vous un réformiste postmoderne.
    On oublie que bon nombre de nos camarades prolo vivent également des discriminations par rapport à leur identitée de genre, leur orientation sexuelle ou leur manière de vivre. Alors, si la défense des différences ne doit pas être une quête en soit il est très inquiétant de voir que celle ci est balayé de la question révolutionnaire par des "tenants" du communisme libertaire".

    "Les gens qui parlent de révolution et de lutte de classe sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qui est subversif dans l’amour et ce qui est positif dans le refus des contraintes, ces gens ont un cadavre dans la bouche."

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    • Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes 2 décembre 2023 19:34, par acontretemps bulletin bibliographisue

      Embrouilles dans le genre

      Critique de Freddy GOMEZ sur Acontretemps.

      https://acontretemps.org/spip.php?a...

      Soyons clair : ce livre de combat va à contre-sens du propos courant dominant, sous nette influence postmoderne, dans le féminisme de cette basse époque. On peut s’attendre, par conséquent, à ce qu’il soit dénoncé, par celles et ceux qu’il vise, comme relevant d’un brûlot réactionnaire commis par une féministe des années 1970 ralliée à l’ordre « genré ». Matérialiste et communiste libertaire assumée, Vanina n’ignore pas que le terrain qu’elle laboure est « miné » et que la cause qu’elle défend avec talent demeurera sans doute vaine au vu de ce qu’est devenu le postféminisme de classe moyenne qui fait spectacle de ces temps sans mémoire. Cette thèse, on pourrait l’énoncer ainsi : il n’est d’autre moyen pour le féminisme de combat que de renouer avec la question sociale en la mettant au centre de ses aspirations. Ce qui supposerait d’abord que la communauté féministe s’émancipe des leurres sociétaux et différentialistes de la postmodernité intellectuelle, qui sont, pour le capitalisme néo-libéral réellement existant et culturellement « progressiste », autant de rampes de lancement pour des marchés à conquérir.

      Il fallait donc un vrai courage intellectuel pour risquer, par les temps qui courent, un possible procès en sorcellerie des marketeurs.euses [1] de l’opinion postféministe et queer. Mais, à vrai dire, Vanina se fout un peu de leurs jugements. Ce qui l’intéresse, ce qui rend sa démarche critique pertinente, c’est de partir non pas de ce qu’elle ressent mais de ce qu’elle a vécu, y compris comme désagréments, au sein du Mouvement de libération des femmes des années 1970 pour comprendre comment s’est opérée cette considérable mutation entre ce féminisme-là et celui, néo des années 1980, puis post des années 2000 et suivantes.

      Si l’on peut admettre qu’il faut parfois s’accrocher pour ne pas se perdre dans les complexes méandres des anciens débats internes au MLF et plus encore dans les multiples circonvolutions discursives du postféminisme d’aujourd’hui sur le genre, la « théorie » queer, l’intersectionnalité ou la « transitivité », la perspective historique qu’adopte Vanina permet de relier, sur un demi-siècle, le fil des continuités et des discontinuités thématiques du féminisme militant. Ainsi, il apparaît que, dans les seventies, écrit-elle, « non seulement les femmes ne niaient pas la réalité du sexe biologique, mais elles le considéraient comme le socle sur lequel se greffait le “sexe social”, autrement dit le rôle social qui leur était imposé ». Il aura donc fallu du temps, une dizaine d’années, pour que le « sexe » commence à devenir « genre ». Et plus encore pour que des queers revendiquent d’être femmes et d’être admis comme tels dans le mouvement des femmes. Cela dit, Vanina rappelle opportunément, que le MLF historique, riche en sensibilités politiques diverses, fut vite scindé entre deux courants : essentialiste-différentialiste [2], d’une part, et matérialiste-universaliste [3], de l’autre.

      Sans fascination particulière pour son vécu féministe des années 1970, Vanina liste les sujets qui entraînèrent sans doute, au sein du MLF, le plus de discussions : la question de la distinction entre sexe biologique et « sexe social », qui alimenta souvent la querelle entre « essentialistes » et « matérialistes » ; celle de la non-mixité, notamment lesbienne, qui fit fréquemment débat entre certaines lesbiennes et certaines hétéros ; celle du recours – ou non – à la « justice bourgeoise », notamment sur la question du viol, qui creusa le fossé entre « réformistes » et « révolutionnaires » ; celle de la condamnation, voire de l’interdiction – ou non – de la pornographie, qui occasionna des lignes de fracture durables sur la liberté d’expression et ses limites.

      Le « lesbianisme radical » fut fort présent dans le MLF. Il s’exprima dans le courant « essentialiste » comme dans le courant « matérialiste » [4], mais dans chacun des deux cas en y tenant une sorte de place à part puisque ses adeptes se situaient à l’exacte intersection du MLF et du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) – dont certaines avaient même été à l’origine, avant de le quitter pour rejoindre le MLF, sous l’appellation des Gouines rouges, mais en non-mixité, ce qui déplut beaucoup.

      Pour Vanina, ce sont clairement les années 1980, années fatales il est vrai, qui font tournant. Pour des raisons faciles à comprendre, et effectives en bien des cas : la fin desdites Trente Glorieuses, la récupération politique de la question féminine, la montée du politiquement correct et de l’individualisme, l’épidémie de sida, le triomphe médiatico-politique de l’idéologie néo-libérale. À cela, nous dit Vanina, il faut ajouter l’émergence d’« un nouveau courant de pensée, le postmodernisme », qui a puissamment renforcé et légitimé ce changement de cap. C’est là le point central de cet ouvrage : démontrer en quoi et comment la déconstruction
      opérationnelle du postmodernisme a joué en faveur du capitalisme néolibéralisé en démontant toute prétention critique totalisante, toute universalisation des valeurs, tout établissement rationnel de vérités objectives.

      Fondé sur un retour au plus ancien idéalisme philosophique, cet antimatérialisme étatsunien largement inspiré des French Theorists Foucault, Derrida et Lyotard a commencé d’ouvrir un champ infini à la destruction méthodique d’anciens concepts marxiens comme celui d’ « aliénation » ou de « réification » au prétexte qu’ils participeraient d’une vision globale de l’Histoire conduisant au totalitarisme. Au même titre que l’humanisme de la Renaissance ou les Lumières du XVIIIe siècle anti-obscurantistes.

      Par un étrange retournement de la philosophie, il ne s’agissait plus, à partir de là, de comprendre le monde pour le transformer, mais de le cantonner à une archipellisation d’identités démultipliables, toutes vécues dans une relativité générale. Vendu comme progressiste, ce qu’il est sans doute, le postmodernisme philosophique est d’abord la théorie du capitalisme néolibéralisé à son stade actuel de déconstruction finale des liens sociaux et sociétaux. Quand on admet que la guerre tribaliste de tous et toutes contre toutes et tous est au cœur du projet capitaliste néolibéral, on comprend en quoi les Gender Studies le servent en lui offrant des possibilités infinies de démultiplication de ses parts de marché (blacks, women, gays, subalterns, queers et +++). Enfermées dans leur pré-carré existentiel et réduites à n’être que des lobbys affairés à conquérir leurs droits, ces « identités particulières » survalorisées par le postmodernisme philosophique constituent, pour des raisons évidentes, autant de cibles de choix pour le marché. Désormais, c’est chacune-chacun sa gueule et le capital pour tous. En visibilisant les invisibles, il participe de la valorisation de la diversité, mais surtout de ses marges financières, ce qu’il sait faire.

      « Les analyses intersectionnelles [5], écrit Vanina, ont renforcé et justifié l’atomisation des individus que recherche le capitalisme, parce que cette atomisation prive les individus d’une conscience collective susceptible de se transformer en force de contestation ». Au-delà du constat, elle précise : « Dès lors que tout le monde opprime plus ou moins tout le monde d’une façon ou d’une autre, la “politique” proposée est en effet une “déconstruction” individuelle toujours plus poussée. » La « course aux dominations » que cette dérive identitaire pluri-genrée instaure, favorise naturellement un repli sur les entre-soi, une tendance à la victimisation, un retour des moralines et une légitimation des censures. En quoi les comportements et pratiques d’un postféminisme ayant largement cédé aux dogmes de la French Theory ont-ils encore quelque chose à voir avec un quelconque projet émancipateur ? La question mérite d’être posée, même sotto voce, histoire de dire que la partition nous est lisible. Et que ce féminisme-là s’est rallié au néant de l’époque.

      Une part importante de l’ouvrage informé de Vanina concerne la « théorie queer » et ses diverses et complexes mutations. À l’origine, l’expertise en convient, l’appellation « queer » désignait un refus d’identité (sexuelle) fixe [6]. Par la suite, et beaucoup grâce à la très honorée Judith Butler et à son Gender Trouble, elle est devenue le principe fédérateur d’une « théorie » définissant « le genre comme un simple rôle que l’on est libre d’adopter et de subvertir, indépendamment de son corps » (Vanina). Pour faire court, il suffirait donc de se ressentir pour être, et conséquemment un homme se sentant femme le serait par opération quasi divine et il en irait de même pour une femme se sentant homme, avec l’avantage pour le cas de s’alléger du même coup du poids de la masculine domination séculaire à laquelle iel échapperait. Si le genre a bien troublé le sexe, il n’a pas fait que cela, il s’est autotroublé lui-même à un point tel qu’il semble marcher sans fin sur la tête [7].

      Mais en quoi, la « théorie queer » troublerait d’abord le féminisme, comme le pense Vanina ? Sa réponse – circonstanciée – occupe un chapitre de son livre. S’il fut un temps, nous dit-elle, les années 1970, où le mouvement des femmes, né dans le contexte de l’après-68, était pluriel, inventif, rassembleur, offensif et conquérant, le féminisme (français) sous influence postmoderne d’aujourd’hui – « éclaté et disparate » et à forte prédominance « classe moyenne » – s’est globalement rallié, jusqu’à nier sa propre cause, au langage queer et à ses définitions désobjectivantes. Si, dans la « théorie » queer, une femme (ou un homme) peut se définir sur la seule base d’un « ressenti », le fondement même du féminisme – réformiste ou révolutionnaire –, devrait être de se défier des « identités autodéclarées ». Particulièrement informés et éclairants sont les trois chapitres [8] de l’ouvrage consacrés au « transgenrisme », à la manière dont la « transition » médicale et chirurgicale est prise en compte (ou rejetée) dans divers pays, à la gestation pour autrui (GPA) et aux très juteux profits que le capital tire, en tous domaines, du narratif différentialiste de la wokiste attitude [9].

      Dans le maelström confusionniste d’un temps où est enseignée l’ignorance ; un temps où prospère la peste émotionnelle et son débouché nécessaire, la guerre de tous contre toutes (et vice versa) ; un temps où à la réflexion politique et à la critique sociale se substituent les moralines, la compassion et le victimisme ; un temps où les identités et les postures individuelles font florès en lieu des identités collectives, toutes détruites ou en voie de l’être par le mouvement infini du capital ; un temps où la postmodernité philosophique, cette vacuité de la pensée, est devenue la seule boussole des classes moyennes (en tout) d’un monde en marche vers le chaos ; dans ce maelström, donc, le féminisme, comme le reste, a sombré en refusant de comprendre, comme l’écrit Vanina en conclusion d’un ouvrage implacable, qu’on ne règle pas « la question de l’oppression féminine en évacuant celle de l’exploitation ». Et en cela, elle a raison. Comme elle a raison, en évoquant le mouvement des Gilets jaunes de 2018 – « cette lutte des classes non théorisée comme telle » –, de noter : « On y voyait bien plus de femmes que dans les “journées d’action” syndicales, ou même dans les cortèges féministes du 8 Mars – et des femmes dont on ne parle guère, d’ordinaire, étant donné leur position au bas de la société. Voilà qui aurait peut-être dû interpeller certaines universitaires et militantes féministes ? […] Avec les Gilets jaunes, les discours du féminisme “intersectionnel” et du queer qui occupent l’espace public depuis maintenant des décennies ont été soudain mis en sourdine. Leur mouvement, plein de cris et de fureur et peu soucieux du politiquement correct, a poussé la “vraie vie” et ses problèmes concrets sur le devant de la scène médiatique ». Et c’est vrai que cette insurrection sauvage eut, parmi d’autres avantages, celui de rendre discrètes, un temps, toutes les avant-gardes de l’impuissance intellectuelle et politique.

      Freddy GOMEZ

      Notes

      [1] L’auteur de ces lignes fait sienne la précision de Vanina, correctrice de métier, en note 7 du premier chapitre de son ouvrage : « Désireuse de débusquer les femmes derrière les masculins pluriels, je vais féminiser les mots quand je n’aurai pas d’alternative. Cependant, dans un souci de lisibilité, je ne procéderai à ce charcutage de la langue française que lors de leur première apparition, ou lorsque pourrait subsister un doute sur ce qu’ils englobent. »

      [2] Pour partie (grande partie) représentée par « Psychanalyse et Politique » (Psychépo), dont la cheffe de file était indiscutablement Antoinette Fouque (1936-2014), psychiatre, fondatrice des éditions Des femmes et alors sympathisante maoïste. En 1974, Psychépo a fini par s’accaparer le sigle « MLF », Antoinette Fouque déposant même « la marque » à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI).

      [3] Ce courant était lui-même composé de deux sensibilités : les « féministes radicales » – qui disposaient d’une revue théorique – Questions féministes – d’orientation globalement marxiste mais augmentée de nouveaux antagonismes, comme celui des sexes, la « classe des femmes » étant assujettie, voire exploitée, selon elles, à celle des « hommes » ; les « féministe “lutte de classe” », de sensibilités trotskiste ou libertaire, pour qui les femmes subissaient certes – transversalement – une domination spécifique (de type patriarcal), mais non suffisante pour parler d’une « classe des femmes » dont l’intitulé même gommait les intérêts divergents des bourgeoises et des prolétaires.

      [4] Dont se revendiquaient les principales figures du MLF : Monique Wittig, Catherine Bernheim, Christine Delphy et Margaret Stephenson.

      [5] L’ « intersectionnalité » repose sur l’idée fausse que, les rapports d’oppression étant multiples, chacun d’entre eux en vaut un autre dans « le ressenti ». Autrement dit, poussé à l’extrême, un privilège « validiste » équivaudrait à un privilège « classiste » (alors, précise Vanina, qu’ « une personne valide n’exploite pas un invalide comme un bourgeois exploite un prolétaire ».

      [6] Précisons que le terme anglais queer signifiait « bizarre », « tordu », « louche » – et qu’il était assumé comme tel par celles et ceux qu’il désignait.

      [7] L’atteste la permanente mutation du sigle LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres), devenu LGBTQIA+ (Q pour queer, I pour intersexe, a pour « asexuel.lle » – le + indiquant que « rien n’est figé »). Toutes limites étant dépassables, on notera, par ailleurs, que nos ami.e.s du Québec ont quelque avance sur nous puisque leur sigle (LGBTQQIAAP) intègre d’autres identités : un Q supplémentaire pour les personnes « qui se posent des questions », deux A pour « allié.e.s » et « aromantiques », un P pour « pansexuel.lle.s ».

      [8] Chapitre 7 : « “Transitions” et “transidentité” : les politiques étatiques dans le monde », chapitre 8 : « Des leurres bienvenus pour le système capitaliste et patriarcal » ; chapitre 9 : « La GPA : des femmes-ventres à louer »).

      [9] On indiquera au passage que les quelques pages – 212-221 – que Vanina consacre au « wokisme, dernier avatar des pratiques intersectionnelles » sont d’autant plus pertinentes qu’elles valident son analyse sur le mouvement d’émiettement sans limites que provoque la prolifération de supposés fronts de lutte dont le seul dénominateur commun est de jouer le genre ou la race contre la classe.

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    • En réponse au message du 23 novembre :

      Précisément parce que je suis communiste libertaire, je ne réduis pas la révolution à la « destruction du pouvoir économique et politique par l’organisation du prolétariat ».

      Une société anarchiste est à mes yeux une société qui prend en compte à la fois l’individu et le collectif – contrairement au « communisme » à la soviétique ou à la chinoise et à tous les régimes qui se sont appuyés sur les écrits de Marx pour déboucher sur un capitalisme d’État et sur des dictatures. Je défends l’idée qu’il faut mener de pair le combat anticapitaliste et le combat antipatriarcal, et je suis d’accord avec la formule de Raoul Vaneigem : « Les gens qui parlent de révolution et de lutte de classe sans se référer explicitement à la vie quotidienne, sans comprendre ce qui est subversif dans l’amour et ce qui est positif dans le refus des contraintes, ces gens ont un cadavre dans la bouche. »

      Pour moi, le problème que posent les postmodernes n’est donc pas qu’ils/elles s’intéressent à ces questions ou défendent les « différences », mais qu’ils/elles en fassent une « quête en soi » en ignorant les appartenances sociales et la lutte des classes. Le problème, c’est leur focalisation sur l’individu au détriment du collectif dans une société qui fonctionne sur l’individualisme, le consumérisme et le sécuritaire.

      Par ailleurs, le message mis par Évelyne le 7 novembre sur cette liste de discussion, et qu’appuie l’auteur-e du message du 23, était avant tout insultant, ce qui ne m’a guère donné envie d’y répondre. Mais je vais y revenir ici puisque Évelyne a reçu ce soutien.

      Le propos d’Évelyne est mensonger, par exemple quand elle me reproche « “l’oubli” fort pratique de personnes comme Leslie Feinberg » alors que j’en parle p. 100 de mon livre. Ou quand elle m’accuse de dire que les « personnes trans, non-binaires » appartiennent aux « classes moyennes ou supérieure », ce que je ne fais pas – les données à ce sujet sont de toute façon impossibles à connaître étant donné que se déclarer tel même seulement à son entourage suffit pour l’être.

      J’ai de plus de réels désaccords avec le contenu des textes auxquels nous renvoie Évelyne. En particulier, l’article « L’idéologie transgenre » signé Constance Le, dans lequel on trouve notamment ces mots :
      « Pourquoi changer de sexe ne serait-il pas aussi anodin que changer de prénom ou changer de métier ? Pourquoi ne devrait-on pas apprendre aux enfants qu’il est normal de changer de sexe comme il est normal de ressentir de l’affection et de l’attirance pour des personnes du même sexe que soi ? (…) La réalité du changement de sexe s’impose, et dérange : malgré les nombreux obstacles tendus par la société, des femmes deviennent des hommes, des hommes deviennent des femmes, d’autres encore refusent obstinément d’être confinéEs par la société à l’une ou l’autre des catégories de sexe qu’on tente d’imposer sur elleux. »

      Certes, on peut estimer avec Constance Le que « l’anatomie est aussi affectée par la société et [qu’]il n’existe pas de corps naturel » dans le sens où le corps humain est plus ou moins capable de s’adapter à des contraintes physiques et se transforme (déforme) selon les gestes effectués dans la vie quotidienne, particulièrement au travail. Mais les organes sexuels ne changent pas de fonction : dans l’immense majorité des cas, ils sont soit masculins, soit féminins – et aucun homme n’est en mesure de mettre au monde un enfant.

      Si les traitements médicaux et les interventions chirurgicales parviennent aujourd’hui à donner peu ou prou l’apparence d’un appareil génital féminin à un appareil génital masculin (et inversement), ils ne lui donnent pas réellement vie, et tant la jouissance sexuelle par ce biais que la fertilité des « transitionneuses » ou des « détransitionneuses » sont susceptibles d’en pâtir.
      Les théories postmodernes reposent sur une série de manipulations linguistiques (glissements de sens, amalgames, censure de mots…) qui tordent la réalité et confortent l’ordre établi. Exemples :

      Appeler les femmes une « minorité » permet de les ranger parmi une infinité d’autres minorités, et de noyer sous une foule de discriminations la domination masculine que subissent toujours la plupart des femmes à l’échelle planétaire.
      Dénoncer des attitudes « sexistes » ou « classistes », donc le fait d’individus, plutôt que les institutions patriarcales qui en sont responsables permet de laisser bien en place le système de domination masculine et le capitalisme.
      Opérer un amalgame entre sexe et genre, puis faire dériver le genre d’un rôle social à une « identité », permet d’affirmer que « changer de sexe » est possible…

      Constance Le écrit ainsi : « Je préfère utiliser le mot sexe là où la plupart des gens utiliseraient genre, afin de lutter contre la réification du sexe comme un invariant biologique détaché de tout aspect social, souvent naïvement associée à la dichotomie sexe/genre (nature/culture). »
      En fait, personne ne change de sexe, nulle part. Je suis pour que tout individu soit libre de recourir à l’hormonothérapie ou à des opérations chirurgicales s’il ou elle en tire un bien-être, mais je ne vois pas ce qui est « normal » là-dedans. « Normal » signifie conforme à la norme, or je suis contre les normes, et en finir avec la domination masculine implique toujours, selon moi, de s’attaquer aux normes sociales inculquées aux femmes et aux hommes. Comme je l’ai dit dans mon livre, une « transition » peut être le remède à un mal-être individuel, mais pas la solution du problème social que constitue l’oppression féminine.

      Si ne plus distinguer sexe et genre est « pratique » pour Constance Le, le rôle social attendu des femmes demeure construit sur leur sexe biologique – ce que soulignait Simone de Beauvoir en affirmant « On ne naît pas femme, on le devient ». Occulter ce sexe fausse donc complètement la donne : on « oublie » que la domination masculine a pour finalité de contrôler la sexualité et les capacités reproductives féminines. Les tenants de l’ordre établi n’ont aucune envie de laisser les femmes disposer librement de leur corps, car la reproduction de l’espèce et le maintien de la propriété privée (par la transmission des biens d’une génération à l’autre) dépendent d’elles. C’est pourquoi, depuis des siècles et des siècles, les femmes sont surveillées, enfermées, battues, tuées, etc., quand elles cherchent à se rebeller contre leur sort. Et c’est pourquoi l’accès à l’avortement et à la contraception (ou le maintien de ce droit) continue de requérir partout dans le monde de véritables mobilisations sociales.

      Dans un « État moderne » tel que la France, où la contraception et l’IVG sont légalisées et prises en charge par la Sécurité sociale depuis des décennies, les féministes postmodernes ont perdu de vue que ce droit à disposer de son corps reste aussi important pour les femmes que leur indépendance économique. Aussi, dans un souci de « bienveillance » et d’« inclusivité » à l’égard des « transfemmes », elles tendent à évacuer les questions portant sur la sexualité féminine (avortement, contraception, menstruations…) parce que celles-ci ne les concernent pas.
      Pourtant, jusqu’en 2012 l’état civil en France a opéré une distinction entre les demoiselles et les dames sur la base de la virginité et du mariage (qui naguère allaient forcément ensemble), et dans la vie courante cette distinction subsiste fréquemment, alors que les garçons sont tenus pour des « messieurs » comme les hommes. Cela peut paraître un détail, mais par ailleurs la virginité des filles augmente toujours leur prix dans les milieux de la prostitution (des hommes paient cher pour les « déflorer ») ; et il en va de même dans la transaction financière entre familles que constitue encore pour une bonne part le mariage des filles dans la bourgeoisie.

      C’est en réduisant l’oppression féminine au harcèlement, aux violences sexuelles, à la discrimination au travail ou à l’inceste que les féministes postmodernes parviennent à attribuer aux « transfemmes » le même vécu que celui des femmes. Or, s’il est vrai que des « transfemmes » peuvent subir certaines de ces violences ou cette discrimination, elles n’ont pas pour autant la même histoire que les femmes.
      On le voit avec le féminicide, qui est un meurtre ou un assassinat en quelque sorte « réservé » aux femmes, puisque c’est le plus souvent l’acte d’un homme s’appropriant le corps d’une femme parce qu’il se sent en droit de faire ce qu’il veut d’elle, y compris lui ôter la vie quand elle décide de le quitter. On le voit aussi avec l’ablation du clitoris, qui a existé en Europe de l’Ouest et aux États-Unis, du XIXe siècle jusqu’aux années 1960, pour empêcher des femmes de se masturber et pour « traiter leur hystérie ». Aujourd’hui, la pratique de l’excision se poursuit dans un certain nombre de communautés, et elle correspond au désir de réduire la libido des filles afin que leur virginité soit gardée intacte pour leur futur époux. A la vérité, une femme n’est pas violée, ou mise à mort dans un féminicide, et une fillette n’est pas excisée parce qu’elles « se sentent » femmes, mais parce qu’elles ont un sexe de femme. Une femme n’a pas un bébé parce qu’elle « se sent » femme, mais parce qu’elle a un sexe de femme.

      Enfin, l’assignation aux tâches ménagères ne correspond pas non plus au vécu des hommes qui opèrent une « transition » femme. Même si des hommes (désireux ou non de « transitionner ») aiment faire la cuisine voire le ménage, par exemple, ils ne sont pas « tenus » d’avoir de telles activités, et appréciés à cette aune, comme les femmes dès l’enfance.

      Je considère donc qu’accepter l’« autodéclaration de genre », ou encore le remplacement du mot « femme » par « personne » (« à vulve » et autres jolies expressions de ce genre), équivaut pour les femmes à se tirer une balle dans le pied.

      La définition d’une femme à partir des stéréotypes de genre (si un garçon veut porter une jupe ou jouer à la poupée, ou s’il est « sensible », cela « prouve » que c’est une fille) renforce ces stéréotypes quand il s’agit de les détruire. Jouer à la poupée fait partie de l’apprentissage visant à inculquer aux fillettes le dévouement à autrui. L’« instinct maternel » est le produit d’une éducation qui débouche aujourd’hui sur le care (les métiers du soin, du lien et du nettoyage). Ce secteur économique dévolu en priorité aux femmes des classes populaires est le prolongement du rôle social féminin dans la sphère privée. Les féministes ne devraient-elles pas, dès lors, l’examiner avec quelque suspicion ?

      Faire du corps humain un objet séparé qu’il serait possible de « choisir » permet, de plus, de dire qu’on peut le vendre ou le louer, ce qui conduit à prôner le « métier du sexe » au nom de la « liberté individuelle », ou la GPA au nom d’un « droit à l’enfant ».

      Ces choix qui traduisent les centres d’intérêt des féministes postmodernes aggravent la réalité sociale des femmes placées au bas de l’échelle sociale. Aussi est-il selon moi largement temps d’en prendre la mesure.

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      • Je sais même pas qui est Constance Le et je ne recommande pas spécialement ses textes, vu que je les connais pas.

        Après moi je réponds au contenu de cet article et le résumé sur le site de la la maison d’édition. Je n’ai pas pu pirater votre livre, et vu les syncrétismes conceptuels que vous utilisez, cohérents avec ceux des feministes transphobes, j’ai pas trop considéré qu’il était utile de l’acheter. Les sacs de haricots secs et de pâtes, et la carte de réduction pour le train étaient plus importants !

        Après hein si ça vous botte de répandre des approximations et des mensonges pour avoir des miettes de prestige dans un micro-milieu militant, peu importe, vous n’êtes ni la première ni la dernière. Et l’OCL n’a pas vraiment d’influence. Mais est-ce là un usage sage et bon de votre temps très limité, sans retour en arrière, sur terre ?

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        • Constance LE est l’autrice de l’article qui ouvre le site de la Revue trans-féministe, dont vous [Evelyne] recommandez la lecture, « puisqu’il répond directement aux élucubrations couchées dans cet article (car elles sont connues depuis longtemps et se répètent) » (sic)
          Elle se présente également comme la responsable de cette revue en ligne.

          C’est assez incompréhensible que vous ne sachiez pas qui est cette personne dont vous encouragez la lecture, sauf à penser qu’en matière d’épandage "d’approximations et de mensonges" vous en connaissez éventuellement un rayon.

          forum’s modérato

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      • Bonjour Vanina.

        À te lire, les lesbiennes ne seraient pas non plus des femmes puisqu’elles échappent à l’exploitation sexuelle (ce que des autrices comme Monique Wittig ont bien noté) et que personne ne va les assigner au ménage dans leur couple. Pourtant les lesbiennes savent très bien de quoi il retourne et sont depuis des décennies des piliers du mouvement féministe. Au vu de cet exemple, il ne me semble pas nécessaire de cocher toutes les cases pour avoir le statut d’une femme et en partager la condition.

        Je cite souvent la philosophe trans matérialiste Pauline Clochec à ce sujet : « Cette idée de "se sentir femme", je n’ai aucune idée de ce que ça voudrait dire, par contre je sais ce que c’est qu’être une femme socialement, en termes de possibilités de carrière, de traitement par les collègues et dans la rue, dans le métro, de comment se répartit la parole dans un groupe. Ce qui change vraiment c’est l’appartenance à un groupe marqué socioéconomiquement, c’est-à-dire à une classe, une classe de sexe. » Et ce n’est pas seulement la parole très politique d’une féministe matérialiste, c’est congruent avec le témoignage de femmes trans qui ont des perspectives politiques plus libérales.

        Réduire le fait d’appartenir à la classe des femmes à un corps sexué, à son exploitation sexuelle et dans la procréation, ça me semble aussi une perspective un peu étroite dans la mesure où l’exploitation de l’utérus des femmes par les États s’exprime d’une manière très différente pour les femmes blanches et pour les femmes issues des populations colonisées, dont on a plutôt voulu réduire les capacités reproductives (voir les opérations de stérilisation des femmes des DOM-TOM). De même pour les couples de femmes et les femmes seules, qui ont été tenues à l’écart des techniques d’assistance médicale à la procréation (comme la simple IAD) pendant plus de quarante ans… Je pense comme toi qu’il ne faut pas oublier ce caractère important de l’expérience des femmes, qui s’est estompé au fil de nos luttes mais qui pourrait resurgir au détour d’un « réarmement démographique » (voir Margaret Atwood !). Il ne peut cependant pas être le critère unique du partage d’une condition féminine.

        Sans avoir lu ton livre mais après avoir assisté à ta présentation parisienne de février et lu ton intervention ci-dessus, il me semble que « leurre post-moderne » il y a bien dans la « focalisation sur l’individu au détriment du collectif dans une société qui fonctionne sur l’individualisme, le consumérisme et le sécuritaire », soit quand l’identité de genre est réduite à un « ressenti » et n’a plus rien à voir avec l’expérience sociale d’être traitée comme une femme et de subir les injonctions qui leur sont faites. Les « appartenances sociales », les « luttes de classes » (je te cite) n’ont alors plus « lieu d’être » (là je cite la tribune imbécile sur la place des femmes trans dans le mouvement féministe). Chacun·e « travaille sur soi » (du développement personnel à la salle de muscu en passant par l’identité de genre) pour trouver son salut individuel, et évidemment chacun·e se découvre « non-binaire », grand bien lui fasse mais tout ça va dans le sens de ce que j’appelais dans mon bouquin la « conjuration des ego » (on se sent très révolutionnaire mais c’est les mêmes logiques libérales et individualistes d’accomplissement de soi en-dehors de toute logique de classe que dans l’imaginaire libéral).

        Sur la base de ces ressentis, on en vient à des pressions (y compris de la part des autres féministes qui comme tu le dis se tirent une balle dans le pied) pour partager des espaces émancipateurs entre femmes avec des personnes nées hommes, qui ne se sont jamais présentés au monde comme des femmes (hors un petit milieu affinitaire) et qui « se sentent » femmes ou non-binaires sans pouvoir témoigner de ce que ça fait, d’être renvoyée au statut de femme puis qu’ils n’ont jamais été perçus comme telles. Des personnes barbues, moustachues, qui n’ont jamais transitionné ne se posent pas même la question de respecter l’autonomie de groupes de femmes, d’autant moins que de l’intérieur du mouvement féministe on les invite à ne pas le faire. Je souhaite partager les espaces féministes avec toutes les femmes (qu’elles aient un utérus ou pas) mais je suis très en colère devant cette doxa de l’auto-détermination. Et je ne pense pas qu’elle se combatte avec cette focalisation que toi et d’autres féministes font sur le corps et le sexe.

        Celle-ci me semble assez délétère pour deux raisons. D’une part parce que c’est au détriment de tout ce qui s’est pensé sur le genre en tant que rapports sociaux de sexe (et qui n’est pas que post-moderne !). D’autre part parce que malgré toutes les précautions plus ou moins sincères (et sans préjuger de ta sincérité), c’est un discours qui est préjudiciable aux femmes trans et qui empêche les anars et l’extrême gauche de se positionner plus clairement contre les attaques venues de très à droite. Puisque les discours les plus courants sur ces questions sont libéraux ou post-modernes, alors l’idée pointe son nez que les personnes trans ne peuvent peut-être pas être des allié·es politiques. Je renouvelle l’invitation que je te faisais à lire les écrits matérialistes trans et à nouer des alliances avec des groupes trans sur des bases politiques plus solides que celles qui ont dominé la scène jusqu’à présent (à base de « ressenti », « subversion », « identité », etc.).

        J’ai été très déçue de voir que malgré ta boussole « luttes des classes » tu ne proposes rien d’autre que de de réarmer la guerre de tranchées entre « être une femme c’est avoir un utérus » et « être une femme c’est un ressenti » alors qu’entre les deux il y a la classe et les rapports sociaux. Parce que pour moi le problème actuel n’est pas celui des femmes trans (mises toutes en vrac dans le même sac et accusées de tous les maux par quelques personnes qui sont intervenues à ta suite à Paris) mais celui de l’hégémonie de la notion d’« identité de genre » (sensible, labile, fortement individualisée et, je pense, accessible aux classes sociales dotées de certains capitaux, social ou culturel) aux dépens du concept d’appartenance de classe. Le féminisme est l’un des domaines où s’épanouit une vision folle de ce qu’est la société (chacun·e est libre de naviguer entre des identités), vision qui nous prive de cet outil émancipateur qu’est la reconnaissance de notre appartenance de classe, de nos intérêts de classe. Nous avons donc, nous féministes, le devoir de lutter de là où nous sommes contre cette vision délétère.

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        • Bonsoir, Aude,
          Que tu parles de mon livre sans l’avoir lu, et que tu le fasses sur le site de l’OCL plutôt que sur ton blog, me paraît une curieuse manière de procéder. D’autant plus que les éditions Acratie t’ont gracieusement envoyé, à ta demande, un exemplaire de ce livre dès sa sortie en novembre, et que ton blog accorde une belle place aux recensions d’ouvrages. Tu as préféré t’en tenir à la présentation des Leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes que j’ai faite à la librairie Quilombo de Paris et m’interpeller ici. Et ce choix te conduit à extrapoler sur certaines positions que je défends dans mon livre, mais que je n’ai pas retenues pour introduire un débat sur le très vaste sujet des théories postmodernes.
          Les lesbiennes sont évidemment des femmes : elles sont dès la naissance éduquées et traitées comme telles, sur le constat qu’elles ont un sexe féminin. Le fait que des lesbiennes aient des enfants, que des hétéros n’en aient pas, que des femmes décident de vivre seules, etc., ne remet pas en question leur appartenance à l’ensemble femmes, parce que celle-ci découle d’un vécu commun : l’assignation par les institutions patriarcales et le système capitaliste au rôle social attendu des femmes (tâches domestiques, élevage des enfants… métiers « féminins », travail à temps partiel…).
          Ainsi que tu le soulignes, les (des) lesbiennes ont été et sont des piliers du mouvement féministe depuis des décennies. Elles ont occupé une place importante dans le MLF en particulier parce que ce mouvement revendiquait la libre disposition de leur corps pour les femmes – contre le discours idéologique assené par les institutions patriarcales sur l’importance de la virginité, de la maternité, etc., et contre la norme hétérosexuelle. La question de l’« identité lesbienne » et d’un « séparatisme » avant-gardiste les a cependant beaucoup divisées, et ce débat n’est pas clos.
          En ce qui concerne l’exploitation sexuelle des femmes et la procréation, les politiques natalistes des Etats sont fonction des objectifs économiques (notamment colonialistes) poursuivis à telle ou telle période par les gouvernants et des rapports de force à l’œuvre alors dans la société. Ces politiques ne visent pas toujours toutes les femmes, comme tes exemples le montrent. Mais l’évolution récente de la législation sur le droit à l’IVG, aux Etats-Unis, et les campagnes contre ce droit en Russie montrent aussi que toutes les femmes demeurent concernées – et que l’on doit rester, toujours et partout, mobilisées sur les questions touchant à la sexualité et aux capacités reproductives des femmes.
          Leur minimisation actuelle dans les milieux féministes ne me paraît pas due qu’à l’écoulement du temps : il s’agit aussi de nous convaincre que les « transfemmes » ont le même vécu que les femmes. Quand la philosophe « trans » Pauline Clochec dit savoir « ce que c’est qu’être une femme socialement, en termes de possibilités de carrière, de traitement par les collègues et dans la rue, dans le métro, de comment se répartit la parole dans un groupe », elle ne fait référence qu’à l’espace public. Or la sphère privée reste d’importance dans l’oppression des femmes, car leur statut subalterne par rapport aux hommes y demeure fort (voir l’inégale répartition des tâches domestiques, les violences conjugales, les féminicides…).
          « Oublier » ce genre de réalité traduit une autre réalité : le discours féministe dominant actuel est celui de « classes moyennes » intellectuelles trop souvent centrées sur leurs propres préoccupations de classe… où la carrière tient une place conséquente, et assez indifférentes au sort des femmes appartenant aux classes populaires (ce qu’on appelait avant le prolétariat et qui n’est plus réductible à la classe ouvrière traditionnelle), en France ou ailleurs. Si le rôle attendu des femmes dans la sphère privée concerne toutes les femmes, quelle que soit leur appartenance sociale, celles des « classes moyennes » et supérieures ont les moyens (matériels, intellectuels…) d’y échapper au moins en partie – comme à l’emprise d’un homme, dès lors qu’elles ont une autonomie financière. Tu nous vantes une production universitaire telle que Matérialismes trans comme ayant fait évoluer la définition d’une femme, mais si tu demandais leur avis sur cette définition aux femmes des classes populaires, qui n’ont pas forcément connaissance d’une telle production ni n’en possèdent les codes linguistiques, l’« avancée » te paraîtrait peut-être bien moins évidente. Et il en irait sans doute de même si tu les interrogeais sur l’affirmation de Clochec (dans l’interview d’elle à laquelle tu renvoies) qu’une personne pourrait « véritablement changer de sexe au cours de sa vie » parce que les traitements hormonaux feraient devenir « biologiquement » un homme ou une femme.
          L’« autodétermination de genre » te met « très en colère », dis-tu, et tu t’insurges contre les hommes se prétendant femmes sans adopter l’allure qui permettrait de les percevoir comme telles. Le critère d’appréciation pour définir une femme serait donc l’apparence (physique ou vestimentaire) qu’elle donne d’elle ? On retombe facilement, avec un tel raisonnement, sur les stéréotypes de la féminité. Et il faudrait donc que les femmes (ou les féministes) opèrent un tri entre les hommes qui « transitionnent », pour les considérer ou non comme des femmes en fonction de leur « expression de genre » ?
          A mon avis, les « débats » autour de la « transidentité » gagneraient en sérénité surtout si on abandonnait la définition postmoderne d’une femme : les hommes qui ne cèdent pas à une mode en « transitionnant » ont, selon moi, toute leur place dans une lutte antipatriarcale, plutôt que féministe. Et je constate que, après avoir parlé dans ton message de « toutes les femmes (qu’elles aient un utérus ou pas) », tu as ajouté que les « personnes trans » (les hommes et les femmes qui ont « transitionné ») pouvaient être des « allié-e-s politiques ». Autrement dit, tu ranges les hommes qui ont « transitionné » dans l’ensemble femmes tout en donnant aux « personnes trans » une place à côté ?
          Pour finir, tu fais référence à la classe et aux rapports sociaux, et je te rejoindrais sans peine là-dessus si nous donnions le même contenu à ces mots. Ce n’est apparemment pas le cas : la « lutte des classes » renvoie toujours pour moi aux classes sociales, et pour toi aux « classes de femmes et d’hommes » calquées sur le schéma marxiste que propose le féminisme radical.
          Je suis d’accord avec toi sur l’idée qu’il faut ramener les luttes juridiques, culturelles et politiques à « une base matérielle – celle des rapports socio-économiques ». Mais matérialisme et marxisme ne sont pas des synonymes. Marx a été un penseur matérialiste parmi d’autres, qui étaient socialistes ou anarchistes – et Michel Bakounine a fait montre d’une remarquable lucidité dans sa dénonciation du « déterminisme historique » et de la « dictature du prolétariat » proposés par Marx. Le communisme libertaire, courant matérialiste auquel j’appartiens, se bat à la fois contre le capitalisme et le patriarcat et pour une société sans hiérarchie sociale ni Etat.
          Matérialisme féministe et féminisme radical ne se confondent pas non plus. Pour rappel, le féminisme matérialiste du MLF était représenté par les féministes radicales et par les féministes « lutte de classe ». Les générations féministes suivantes n’ont retenu que le premier de ces courants, mais la « classe de sexe » n’est à mes yeux pas un concept valide, pour la simple raison que l’ensemble femmes est interclassiste (on y défend des intérêts de classe différents selon que l’on appartient à la bourgeoisie ou au prolétariat, pour faire schématique). C’est pourquoi j’étais plutôt d’accord, dans les années 70, avec les féministes « lutte de classe », qui qualifiaient le patriarcat d’« oppression transversale » et participaient activement aux mobilisations sociales sur des bases anticapitalistes et antipatriarcales. Si l’on veut absolument chercher parmi elles des figures, on peut citer Danièle Kergoat, étant donné son engagement militant. Ses travaux sur les « rapports sociaux de sexe » et la « division sexuelle du travail » ne sont pas non plus facilement accessibles aux non-initié-e-s (ils ont le jargon de la sociologie), mais ils présentent le double intérêt d’associer production et reproduction sociale et de présenter les rapports sociaux en général comme des éléments dynamiques permettant de changer une société.
          La seule lutte de la « classe des femmes » contre la « classe des hommes » est pour moi insuffisante : elle peut, certes, réduire, voire faire disparaître les inégalités (professionnelles et/ou domestiques) entre les sexes dans la société existante, mais elle ne conteste pas les inégalités entre les classes. Les femmes qui accèdent au sommet d’entreprises ou d’Etats renforcent l’ordre établi au lieu de l’affaiblir, tandis que l’écart se creuse entre le haut et le bas de l’échelle sociale. Pour inverser cette tendance, il faut toujours une révolution sociale, laquelle implique une alliance entre les femmes et les hommes exploité-e-s.
          Vanina

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  • Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes

    24 janvier 01:50, par Faux-cils et marteau

    Euh... mais que faites vous des tous les travaux féministes qui proposent des théories unitaires (de genre, de race, de classe ?) tout en maintenant la centralité de l’exploitation et de la plus-value ?

    Gonzales et Netton, Logique du genre] des n°23 et 24 de Théorie commuiste [->https://si...]

    ni dans tous le courant des féministes matérialistes

    •  

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