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CA 336 janvier 2024

Affaire du 8 décembre :
un jugement inique
mais pas surprenant

jeudi 18 janvier 2024, par Courant Alternatif

Ce compte-rendu fait suite à l’article sur l’ouverture du procès (CA N° 334) et celui sur le déroulé (CA N°335)(1). Dès le premier article, je relevais que la présidente du tribunal reprenait la position du parquet et l’enquête de la DGSI (2) « sans aucune mise à distance ». Je concluais le second en notant que durant tout le procès elle avait continué à suivre les positions du PNAT (3). Le jugement en fut la confirmation.


Le 22 décembre, dès 8h30 des petits groupes de parent·es, ami·es et soutiens venus de différentes régions se rassemblent sur le parvis du tribunal de Paris pour assister à 10h au rendu du jugement contre les inculpé·es de l’affaire du 8 décembre 2020. Malgré le vent et la bruine, le groupe augmente ; l’atmosphère est chaleureuse bien qu’inquiète du sort qui leur est réservé. Le temps de passer les trois contrôles et fouilles successives, nous entrons petit à petit dans une des plus vastes salles d’audience. Nous sommes bien 250 entassé·es sur les bancs, et il reste encore une cinquantaine de personnes dans les halls et sur le parvis

Avec trois quarts d’heure de retard, la cour s’installe enfin dans toute sa minable splendeur et la présidente commence à énoncer ses décisions. Elle répond d’abord aux différentes demandes des avocats dont elle avait repoussé la réponse. Sur la demande de communication des enregistrements vidéo des garde-à-vue : elle prétend qu’elle les aurait éventuellement autorisées si les avocats avaient contesté les procès-verbaux d’audition, mais comme ils n’avaient pas fait de contestation formelle, c’était inutile. Comment les avocats auraient-ils pu les contester sans pouvoir constater des éléments contestables grâce à ce visionnage ? Les avocats avaient demandé l’audition des enquêteurs (anonymisés) de la DGSI. La juge a estimé que le résultat de leur enquête suffisait et qu’il n’y avait donc pas lieu de les faire comparaître. Même topo pour une demande liée aux documents ayant servi à l’expertise sur les explosifs.
Déjà cette entrée en matière sentait très mauvais. Ensuite la présidente a énoncé toutes les raisons pour lesquelles elles (4) avaient retenu la qualification d’Association de Malfaiteurs Terroriste (5) : il n’est pas nécessaire qu’il y ait une association structurée, ni que tous les membres se connaissent, ni qu’il y ait des objectifs précis à court terme. Il suffit de prendre en compte le fait qu’iels se soient rencontrés, que certains enregistrements indiquent qu’ils n’aiment pas du tout la police, qu’ils se soient entrainés militairement (une partie d’airsoft !), qu’ils aient fabriqué des explosifs (gros pétard) ou aient détenu des produits permettant d’en fabriquer, que certains aient des armes (légales pour la plupart)...

Au fur et à mesure de cette énumération, on voit bien où elle veut en venir et des protestations émanent des rangs du public. Après deux ou trois interruptions de sa lecture, la présidente demande de faire évacuer la salle. Elle sort ainsi que les deux assesseures, la greffière et le parquet. Les policier·es qui étaient présents dès le début de la séance sur les côtés de la salle viennent se positionner entre la zone destinée aux prévenu·es et leurs avocat·es et celle réservée aux magistrat·es. Après un petit temps d’attente d’autres flics viendront compléter le dispositif d’encerclement.
Sans trop se préoccuper de leur présence et leurs demandes de sortir, nous commençons alors une sorte d’AG improvisée où différentes positions pratiques sont proposées qui toutes marquent une attitude rupturiste face à la justice : tous·tes sortir pour montrer que comme iels ne veulent rien entendre, on ne veut pas non plus les écouter, tous-tes rester pour imposer une évacuation physique par les flics et la dénoncer. Finalement la grande majorité du public préféra sortir en chantant « A bas l’Etat policier (6) ». Après un temps de refus de la présidente de discuter avec les avocat·es, un accord a été trouvé pour que le jugement soit prononcé devant les accusé·es et leurs avocat·es, trois membres de chaque famille, les quelques représentants de la presse.

Comme on s’y attendait après cette entrée en matière, les condamnations suivent des demandes du PNAT. Elles vont de 2 ans avec sursis simple sans inscription au FIJAIT (7) pour le moins chargé des inculpés, jusqu’à 5 ans dont 30 mois avec sursis pour Florian « Libre Flot ». Elles aggravent même les demandes du parquet sur certains points : l’exécution des peines restantes de moins d’un an se fera obligatoirement sous bracelet électronique ; les condamnés ont interdiction de communiquer entre eux pendant 3 ans. La durée des peines est légèrement diminuée pour le principal accusé, mais augmentée pour Camille qui s’est montrée la plus déterminée politiquement à contester la justice.

Evidemment, tout le monde était consterné par ce résultat, mais restait déterminé à continuer le combat judiciaire. Il est encore trop tôt pour avoir confirmation de l’attitude des personnes condamnées et de leurs avocat·es, mais iels déclaraient avant l’audience que s’il y avait condamnation au nom de l’AMT et donc inscription au FIJAIT, l’appel serait certain. De plus, un avocat nous précisait que le fait que les juges aient été plus sévères que le parquet est assez rare et que dans ces cas-là, il est très improbable qu’en appel les peines soient à nouveau aggravées. Ensuite, si l’appel n’est pas suspensif des mesures de contrôle judiciaire liées aux parties sursis des condamnations, il est suspensif des peines (et donc du placement sous bracelet). Enfin cet avocat estimait que la durée d’attente pour un appel à Paris est actuellement de 1 an et demi à 2 ans.
D’ici 2025 iels auront encore besoin de notre solidarité, en particulier de soutien financier (8) pour leur défense.

AD, Limoges 23/12/2023

Notes
1 : Il y a eu quelques petits défauts dans la présentation des notes du premier article, mais dans le second, elles ont toutes disparu. Nous allons essayer de rétablir certains points ici.
2 : Direction générale de la sécurité intérieure
3 : Parquet national anti-terroriste
4 : les trois juges sont des femmes.
5 : Pour une critique de l’AMT se reporter à un excellent article paru dans la revue Délibérée et disponible ici : https://www.cairn.info/revue-delibe...
6 : Version modernisée de la chanson de Dominique Grange
7 : Fichier judiciaire des auteurs d’infraction terroriste qui comporte de nombreuses contraintes (domicile, travail, voyages) et peut éventuellement être prolongé au-delà des 10 années initiales.
8 : https://www.cotizup.com/soutien-8-12

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