CA 344 novembre 2024
dimanche 17 novembre 2024, par
Le samedi 5 octobre, une manifestation a réuni 3 000 personnes à Guéret contre le projet d’implantation d’une usine de fabrication de pellets (granulés de bois). Un projet semblable prévu à Viam, en Corrèze, avait été suspendu en 2019 et abandonné en 2021 suite aux oppositions locales, mais aussi en raison des difficultés financières de ses promoteurs (cf. CA n° 280 – mai 2018). Quelle est la bataille qui se joue à Guéret ?
Début octobre 2023, un article dans le quotidien régional La Montagne révélait que l’entreprise Biosyl, dont le principal actionnaire est l’énorme coopérative forestière Unisylva, projetait de créer une usine de fabrication de pellets à Guéret. Elle possède déjà deux usines dans la Nièvre et la Haute-Loire. Cette usine s’implanterait sur un terrain de 14 hectares et consommerait 140 000 tonnes de bois de feuillus par an (provenant de forêts dans un rayon de 150 km autour de Guéret) pour produire 85 000 tonnes de granulés.
Une première réunion de réflexion réunissait 250 personnes dès l’automne. La mobilisation est portée par une vingtaine d’associations locales ainsi que par l’antenne creusoise de France Nature Environnement, l’association Canopée, spécialisée dans la défense des forêts et le « groupe forêts » du Syndicat de la montagne limousine. Elle est soutenue par les syndicats et partis de gauche… Une réunion publique de plus grande ampleur a eu lieu le 28 janvier 2024, rassemblant environ 600 personnes. Antoine de Cockborne, PDG de Biosyl, invité à débattre de son projet a préféré ne pas venir. Ce fut un meeting à la fois intéressant et dynamique avec film, théâtre, chants… et discours politiques.
Le lendemain de cette réunion, la préfète de la Creuse annonce qu’elle accorde le feu vert à cette création d’usine sans procédure d’autorisation ni enquête publique. La mairie de Guéret et celle de Saint-Fiel (le terrain est à cheval sur les deux communes) avaient chacune accordé un permis de construire en décembre. Le 7 février, FNE23 et Canopée déposent des recours en annulation des permis de construire : le terrain sur Saint-Fiel est classé en zone naturelle, celui sur Guéret fait plus de 10 hectares et comporte une zone humide, etc. Le 11 mars, le maire de Saint-Fiel retire le permis de construire accordé à tort.
Le 20 mars, les associations apprennent que le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine s’apprête à voter une subvention de 650 000 € à Biosyl pour l’implantation de son usine. Canopé et des élus régionaux (écolos et PC) se mobilisent pour expliquer tout le mal qu’ils pensent de Biosyl. L’examen de la demande de subvention est retiré de l’ordre du jour. En mai, une étude scientifique de la flore et de la faune du terrain envisagé révèle la présence d’espèces protégées. Canopée et FNE23 déposent un recours en annulation contre la décision de la préfète du 29 janvier.
Une grande manifestation en défense des forêts limousines était prévue le dimanche 30 juin. Elle devait aussi s’opposer à l’extension de la scierie Farge à Egletons, en Corrèze, même si ce deuxième point de crispation passe souvent au second plan. La manifestation de juin fut reportée pour cause d’élections législatives. C’est cette manifestation qui a eu lieu du 4 au 6 octobre. Malgré un assez fort battage médiatique et un temps splendide, les 5 000 manifestant·es espéré·es ne seront que 3 000. La soirée du 4 fut consacrée à l’accueil sur un terrain prêté par la ville de Guéret. A ce propos, on peut remarquer que la maire de Guéret, qui avait accordé en décembre dernier le permis de construire à Biosyl, s’est aujourd’hui muée en opposante au projet, ce qui n’a pas empêché la communauté d’agglomération de vendre le terrain…
Le 5 au matin, quelques centaines de manifestant·es ont pu visiter le site avec des naturalistes et observer cette nature à sauvegarder. Rejouant la « marche des bâtons » qui avait eu lieu à Notre-Dame-des-Landes en 2016 (comme un engagement pris à revenir défendre la ZAD si le projet d’aéroport était maintenu), quelques centaines de personnes ont planté leur bâton sur le site. Pendant le repas qui a suivi, une conférence de presse a permis aux représentant·es des deux associations organisatrices d’exposer leurs critiques du projet avant de passer la parole aux nombreux·ses élu·es (régionaux, nationaux et européens) à dominante LFI et écolos. Finalement la marche n’est pas partie directement de ce site, mais suite à un covoiturage plus près du centre-ville où d’autres manifestant·es s’étaient rassemblés. Comme souhaité par les organisateurs, ce fut une manifestation tout à fait familiale et festive en suivant une structure représentant un crapaud sonneur à ventre jaune. Les accrochages de banderoles et collages sur le parcours ne constituaient pas des entorses à ce défilé déterminé mais respectueux.
Sous la surveillance attentive (mais à distance raisonnable) de nombreuses forces de police, on a pu défiler dans les rues de Guéret. La préfecture avait interdit le passage devant son entrée principale par un barrage inédit en Limousin : un mur de grilles et de plaques de plexiglas derrière lequel se planquaient les flics. Symboliquement, des poignées de pellets furent jetées par-dessus les grilles de l’arrière-cour de la préfecture (renommée « Pelleture de la Creuse » par une banderole pour l’occasion). Une personne a été interpellée pendant cet épisode… elle avait malencontreusement confondu un escabeau avec une poignée de pellets. Elle a été relâchée avant la fin de la manifestation, mais ce n’est pas du fait de la pression des manifestants, auxquels les organisateurs ont intimé d’aller écouter les prises de parole en cours à la mairie, quelques dizaines de mètres plus bas, mais du fait de la négociation des organisateurs de la manifestation.
L’énergie de cette manifestation a agréablement surpris dans la région. On peut cependant légitimement se demander si elle sera suffisante pour faire abandonner le projet (la préfète est, semble-t-il, parfaitement bornée) ou s’il faudra mettre en œuvre des actions plus radicales. D’aucuns parmi les militant·es regrettent que la manifestation ait pris cette tournure très convenue et festive et n’ait pas eu lieu sur le site de l’usine Farges, à Egletons, pour l’arrêter au moins une journée… Des actions portant atteinte directement au portefeuille de ces structures plutôt qu’à leur image seront peut-être nécessaires dans le futur pour faire entendre notre détermination. Et l’on n’oublie pas la promesse faite de venir récupérer nos bâtons sur place – c’est-à-dire occuper la zone – si les travaux venaient à débuter !