CA 344 novembre 2024
jeudi 28 novembre 2024, par
Revenons d’abord à des choses simples qui nous sortiront un peu du maelström médiatique ambiant. Il ne faut pas confondre immigré·e et étranger·e. Un·e immigré·e est né·e à l’étranger et venu·e s’installer en France. Un·e étranger·e n’a pas la nationalité française, où qu’il ou elle soit né·e. Une partie des immigré·es sont naturalisé·es français·es. Il y a des étranger·es résidant en France qui ne sont pas des immigré·es, tout simplement parce qu’ils et elles y sont né·es. D’après les estimations de l’INSEE, il y a 7,3 millions d’immigré·es en France (soit 10,7 % de la population) dont 2,5 millions de Français·es. Il y a 800 000 étranger·es né·es en France. Il y aurait donc au total 5,6 millions d’étranger·es en France (chiffres de 2023).
Tant qu’on y est, poursuivons un peu sur les définitions. Un « Français de souche » est une expression d’extrême droite qui n’a pas véritablement de définition. Cependant, à partir du moment où on a voulu s’intéresser aux trajectoires des populations issues de l’immigration, il a bien fallu définir. Pendant un temps, l’INED et l’INSEE ont défini un·e Français·e de souche comme une personne née en France de deux parents eux-mêmes français et nés en France. Parce qu’il faut quand même s’entendre sur à combien de générations on remonte lorsqu’on parle de « Français issus de l’immigration ». Rappelons que les nazis se contentaient de remonter aux grands-parents pour définir qui était juif. Rappelons aussi que pour la loi, la Constitution et les « valeurs de la République », il n’y a pas de demi ou quart de Français. On est français, ou pas.
L’INSEE estime le nombre d’immigré·es d’après les recensements, et n’a donc pas les mêmes chiffres que le ministère de l’Intérieur, qui lui s’appuie sur les cartes de séjour. L’INSEE fait une estimation à partir d’une enquête logement par logement (mais pas exhaustive). Il n’est pas certain que ceux ou celles qui sont en situation irrégulière vont se déclarer, mais en principe l’anonymat l’autorise. Les chiffres de l’INSEE sont sans doute les plus fiables (ou les moins sujets à caution) parmi ceux dont on dispose. Le ministère de l’Intérieur ne recense que les entrées, pas les sorties. En effet, une personne normale ne va pas aller signaler à la préfecture qu’elle s’en va. Et les entrées recensées par la préfecture ne concernent pas l’entrée sur le territoire, puisqu’on peut obtenir une carte de séjour alors qu’on est là depuis pas mal d’années.
L’INSEE estime que 331 000 personnes immigrées sont entrées en France en 2022, tandis que le ministère de l’Intérieur indique que 319 000 premiers titres de séjour ont été délivrés cette même année. Ces chiffres peuvent sembler proches, mais attention, ils ne comprennent pas forcément les mêmes personnes. Un premier titre de séjour peut être attribué à quelqu’un qui est là depuis plusieurs années. De plus, les Européen·nes n’ont pas besoin de titre de séjour. Enfin, généralement, on délivre la carte de séjour aux parents, les enfants ne sont donc pas comptés.
En 2023, 47,7 % des immigré·es vivant en France sont né·es en Afrique. 32,3% sont né·es en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigré·es sont l’Algérie (12,2%), le Maroc (11,7%), le Portugal (7,9%), la Tunisie (4,8%), l’Italie (3,9%), la Turquie (3,3%) et l’Espagne (3,2%). Près de la moitié des immigré·es sont originaires d’un de ces sept pays (47%).
En 2022, il y a eu une hausse de l’immigration avec l’arrivée des Ukrainien·nes (leur nombre a été multiplié par 30) et des Russes (leur nombre a doublé). 40% des immigré·es arrivé·es en France en 2022 sont né·es en Europe et 35% en Afrique. Les pays de naissance les plus fréquents pour les immigré·es entré·es en France en 2022 sont l’Ukraine (12,6%), l’Algérie (6,4%), le Maroc (6,2%) et la Tunisie (4,4%). D’après Eurostat, la France accueille très peu d’immigré·es (en proportion de la population) par rapport aux autres pays de l’Union européenne : seules la Bulgarie et la Slovaquie en accueillent moins que nous. Même la Hongrie et la Pologne font beaucoup mieux ! D’après Eurostat, 5,1 millions d’immigrant·es sont entré·es dans l’UE en 2022, à comparer aux 331 000 arrivé·es en France. En moyenne dans l’UE, c’est 11,1% de la population qui est entrée dans la forteresse en 2022. En France, ces arrivées représentent 0,6% de la population.
Les titres de séjour délivrés sont de plus en plus courts. Sur les 320 000 délivrés en 2022, seulement 84 000 (un quart) étaient des titres de plus d’un an, et 39 000 de carrément moins d’un an.
La part de l’immigration dans la population a augmenté. Elle a diminué entre 1931 et 1946, puis a augmenté jusqu’en 1975 ; elle s’est alors stabilisée jusqu’à la fin des années 1990 et a recommencé à augmenter depuis les années 2000. Entre le milieu des années 1940 et le milieu des années 1970, les flux d’immigration étaient majoritairement masculins. Depuis 1974, la part des femmes parmi les flux d’immigration a crû, qu’il s’agisse de regroupement familial ou de migrations pour d’autres motifs (suivre des études, trouver un emploi, etc.). En 2023, 52% des immigrés vivant en France sont des femmes, contre 44% en 1975 et 45% en 1946.
Gardons-nous des clichés. En 2022, parmi les immigré·es arrivé·es après l’âge de 25 ans, la moitié était diplômée du supérieur. Globalement, entre 23,5% et 32,5% (suivant le continent d’origine) des immigré·es ont un diplôme supérieur à bac + 2, à comparer aux 27,1% des populations sans ascendance migratoire. Alors oui, la part des sans-diplôme est plus importante chez les immigré·es (surtout les Asiatiques et les Africain·es) que chez les Français·es. Mais cela nous rappelle une chose : les immigré·es, ça ne veut rien dire, ils et elles ne forment pas un tout homogène, et cette hétérogénéité ne se résume pas à leurs origines géographiques ou confessionnelles.
Les mariages mixtes sont de plus en plus fréquents au fur et à mesure des générations. 63% des immigré·es vivant en couple ont un·e conjoint·e immigré·e, donc ce n’est pas le cas pour plus du tiers d’entre eux/elles. Dans la deuxième génération, en revanche, les unions avec des personnes sans ascendance migratoire prédominent largement (66% des couples). De nombreuses familles ont aujourd’hui un lien à l’immigration parce que la mixité des unions à chaque génération multiplie la présence immigrée dans les ascendances. Inversement, rares sont les généalogies à ne comprendre que des ascendant·es immigré·es. Bref, la France se métisse, au grand dam de nos idéologues.