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CA 326 Janvier 2023

Pourquoi j’ai démissionné de l’Éducation Nationale ?

mardi 17 janvier 2023, par Courant Alternatif

Nous publions ci-dessous le témoignage d’un professeur des école, militant syndicaliste, qui a fait le choix de démissionner de l’éducation nationale, et a dû se battre pour cela. Au-delà du témoignage singulier, ce texte expose bien la maltraitance des individus par une institution convertie au nouveau management public, les différentes raisons qui conduisent à l’épuisement des personnels de l’éducation nationale, et les poussent de plus en plus vers la sortie.


Pour expliquer mon cheminement je pense qu’il est nécessaire de faire un retour sur mon parcours professionnel …
Une formation ultra-libérale (j’ai un magnifique diplôme de marketing et stratégies internationales), 7 ans d’expérience en Ressources humaines (RH) en mode : « Comment fermer un site de production ou un siège social sans trop de vagues ? »
Le début de mon rapprochement avec les syndicats car participant à l’organisation des licenciements, j’étais en lien direct avec les directions générales et les syndicats. Puis, 7 ans dans un réseau associatif de conseil en création et développement de petites et moyennes entreprises engagé dans l’Économie sociale et solidaire (ESS) avant la mode. Mais toujours cette envie d’enseigner aux plus jeunes qui me taraudait. Donner plus de sens à mes connaissances et être plus utile à la société.

En 2003 je saute le pas. Je quitte mon poste pour préparer le Concours de recrutement de professeur des écoles (CRPE) et en parallèle je travaille aussi sur un projet de création d’entreprise dans le domaine du e-learning avec un ami ingénieur en intelligence artificielle. Je m’occupe des contenus pédagogiques, des aspects juridiques, fiscaux et financiers et lui de la technique et du commercial. Un premier ratage pour le concours, je poursuis l’année suivante 3 lièvres à la fois : Préparation du concours, retour en CDD chez mon précédent employeur et accompagnement de la naissance de Citrus-Ingénierie.
2004 ok pour le concours. Salaire divisé par 2 mais une vraie envie ! 1 an d’IUFM à Nantes mais je suis nommé en… Vendée... Pfff.... ok, j’y vais, j’achète un vieux camping-car qui me servira de maison pendant la semaine, une école sympa au bord de mer, classe de maternelle (Petite section/ Moyenne section).

L’année suivante retour en 44 dans mon école de rêve car j’y avais fait un stage pendant mon année d’IUFM, en REP+ à la Chesnaie [1]. J’y ai bossé 8 ans c’était mon but, enseigner à ceux qui en ont le plus besoin. En 2014, burnout après une année avec une classe très difficile et une accumulation de problèmes personnels durant 3 ans, je décide de devenir Titulaire remplaçant et je déménage à 300 m. à la Trébale (autre quartier nazairien) ; la REP+, on l’aime ou on la quitte !

Certes remplaçant nouveau métier, pas une fin mais un objectif : visiter un max d’écoles et voir là où je pourrai de nouveau poser mon cartable. Ainsi, durant 8 ans j’alterne les remplacements courts d’une journée et longs (année scolaire complète). Excellent poste d’observation puisque j’interviens de la petite section à la 3ème SEGPA, tous milieux sociaux, tous types d’élèves et notamment en Unité locale d’intégration scolaire (ULIS). Durant l’année 2015/2016 je suis binôme dans une ULIS « élèves souffrants de troubles d’apprentissage », j’y passe une demi-année formidable et cela suscite une nouvelle vocation, passer le CAPASH [2] et intégrer une ULIS. Très vite ma motivation est douchée par la réforme future des ULIS et l’inclusion à marche forcée qui s’annonce. Je laisse tomber ce projet, à quoi bon passer une année très compliquée en menant de front formation, préparation de classe, rédaction de mémoire pour un métier qui sera accaparé par la rédaction de paperasse et la gestion d’élèves en crise ? Je ne suis pas entré dans ce métier pour ne pas faire classe !

Mais, un autre métier de l’EN me motive : enseignant pour élèves allophones. J’en ai eu de nombreux dans mes classes, je ne m’en sortais pas trop mal. J’ai passé quelques années en CP et CE1 donc j’ai quelques notions sur l’apprentissage des bases de la langue française, je parle anglais et espagnol quasi couramment donc je considère qu’outre la motivation, j’ai quelques compétences qui me faciliteront la tâche. Je participe à plusieurs formations « éducation nationale », certes je n’ai pas de formation universitaire FLE (français langue étrangère) mais je suis prêt à franchir les obstacles annoncés, notamment préparer en candidat libre le diplôme qui deviendra bientôt obligatoire. Deuxième douche, c’est bien beau d’avoir tous les prérequis pour postuler sur ces postes...il y a de moins en moins de postes ouverts malgré une nécessité de plus en plus prégnante !
Retour à la case départ, je vais reprendre un poste de prof’ des écoles « classique ».

MAIS, mais, mais, pendant ce temps, les réformes s’enchaînent.
Syndiqué puis syndicaliste j’observe et constate la dégradation du métier. Je rencontre de plus en plus de collègues en souffrance du fait du métier et des exigences hors-sol venues d’en haut, les injonctions hiérarchiques contradictoires, le flicage et les menaces pour celles et ceux qui tentent de résister, la dégradations des relations avec les parents, le mépris d’une grande partie de la société française, les salaires bloqués devenant de plus en plus indigents, de surcroît l’apathie et l’absence de solidarité de beaucoup de collègues qui exercent dans des cocons protégés (pas ou peu d’élèves en difficulté, beaucoup de moyens matériels, etc.). Mais aussi, de plus en plus fréquemment des collègues ultra-compétents·es et motivé·es qui envisagent de quitter le métier.

Été 2019, c’est le déclic, durant le convoyage d’un catamaran de 15m entre La Baule et la Sardaigne je pense demander une disponibilité pour pratiquer ma passion depuis mon adolescence- la navigation à la voile- pendant 2 ans. Mais après ? Retourner dans mon métier de plus en plus dégradé ? La réintégration sera compliquée...

Je reprends à la rentrée de cette année scolaire si spéciale. En mars 2020, plus de missions de remplacements, en revanche les attaques contre notre profession s’accélèrent avec tout le mépris qui va avec. Pendant 4 mois, je fais ce que je peux pour aider des collègues, notamment je prépare tous les jours des supports écrits pour les collègues de cycle 3 dans une école où j’effectuais un remplacement censé durer jusqu’à la fin de l’année en petite section, un peu de standard téléphonique pour mon école de rattachement mais j’ai aussi le temps de préparer ma sortie.

Rentrée 2020/2021. Le lendemain de la rentrée je retourne à mes premières amours à la Chesnaie, la collègue a tenu 1 jour dans sa classe !!! Elle a quitté l’éducation nationale, j’ai donc récupéré cette classe de CM1 avec tout à faire. Je suis assez content car je connais déjà une bonne partie de l’équipe avec qui je m’entends très bien, cette école n’a pas de secrets pour moi et je retrouve une classe de REP+ comme je les aime (3 allophones, quelques élèves au rapport compliqué avec les règles, etc..) mais c’est MA CLASSE, je fais à ma manière puisqu’il y a tout à faire. Je m’y éclate car, oui, être en classe c’est toujours un vrai bonheur, j’aime toujours autant ce métier... sur le terrain. Ce pour quoi j’avais décidé de rentrer dans l’EN.

Je m’y plais tellement que j’en oublie de faire ma demande de dispo dans les délais... Mais au mois de mars une amie m’annonce qu’elle vient d’obtenir une rupture conventionnelle (RC) et qu’elle quitte l’EN après 25 ans de service pour pratiquer sa passion de façon professionnelle. Je me renseigne et constate que si les RC existent bien dans l’EN, elles sont attribuées au compte-goutte et de manière très opaque. Mais voilà la solution pour partir avec une ceinture de sécurité (chèque de départ et droit aux allocs chômage). Le mois suivant j’intègre le bureau départemental du SNUIPP [3] 1 jour par semaine je réponds aux demandes et plaintes de collègues. Je découvre alors que le mépris de l’administration envers le personnel de terrain est bien au-delà de ce que j’imaginais. C’est de la maltraitance ! Je découvre aussi que quelques-uns et quelques-unes ne devraient plus y être mais sont protégés·es par cette même administration. De plus en plus écœuré par toutes ces injustices j’en conclus que mon départ sera définitif. L’été 2021 me permet de peaufiner mon projet professionnel, devenir skipper pro, profession réglementée malgré mon expérience le cursus est long et cher mais on n’a qu’une vie. Octobre 2021, ma demande de RC part en recommandé-accusé de réception vers ma supérieure hiérarchique qui se garde d’aller chercher le recommandé qui m’est retourné 1 mois plus tard... toujours le mépris !

Je fais alors une remise en main propre. Je suis reçu en entretien fin janvier 2022. On m’annonce une réponse fin mars/début avril. J’ai un peu d’espoir mais je sais que les 10% de RC accordées sont celles qui ont été demandées le plus tôt et j’en fais partie. Mi-avril, tous les élus.es de la première charrette ont leurs réponses positives ou négatives...sauf moi ! Situation inédite, je remonte au créneau, m’agace mais on m’explique que c’est compliqué, ni favorable, ni défavorable... Il faudra que j’attende fin juin ! Pendant ce temps, je continue à constater la maltraitance accélérée des collègues entre les refus de temps partiels, l’absence de soutien de la hiérarchie dans des écoles en tension, etc. Je me dis que décidément si ma RC est refusée je démissionnerai. Fin juin, les réponses arrivent, sauf pour moi ! J’ai beau remonter au créneau pour connaître cette différence de traitement, rien n’y fait, sans explication. Je recevrai par mail la réponse négative le 12 juillet, j’étais déjà en mer. De retour 2 jours à St-Nazaire le 7 août, ma demande de démission part le 8 août. Le 31 échange téléphonique avec la DRH qui commence à me la jouer : « Vous savez Monsieur, nous avons 4 mois pour répondre à votre demande et nous pouvons la refuser. » J’indique que si je retourne en classe je convoquerai immédiatement les parents d’élèves pour leur expliquer et leur remettre un écrit expliquant comment je commettrai une faute lourde et qu’au passage je convoquerai la presse pour une copie car ayant une petite habitude d’expression dans les médias. Réponse : « OK, Monsieur, quand voulez-vous partir ? ». Fin de l’histoire ou presque puisqu’il a fallu que j’aille tenir un siège à la DSDEN [4] à Nantes pour obtenir le papier obligatoire pour mon inscription à Pôle Emploi qui devait m’être remis le jour de mon départ. Un grand moment ! J’ai fait un enregistrement audio. Bref, je ne fais plus partie de l’EN depuis le 30/09/2022. Pourtant, j’adorais être en classe et, sans vouloir me la jouer grosse tête, quand il m’arrive de rencontrer d’anciens élèves ou parents d’anciens élèves je sais ce qu’ils me disent et je le garde précieusement.

Pour l’anecdote, mon dernier cours c’était un vendredi entre 15h/17h fin juin avec des 3èmes SEGPA. Leur dernier cours en collège et le mien dans l’EN. Cours de science. 2h sur le réchauffement climatique, j’avais bien préparé l’affaire mais grosse appréhension compte-tenu des circonstances du calendrier. Super, j’avais préparé 1h de supports variés et alternance de questions/réponses, il s’est passé ce dont je rêvais, 2 h d’échanges et de mini-débats intéressants avec des élèves intéressés pourtant si souvent stigmatisés. De quoi encore nourrir quelques regrets.

En résumé si j’ai quitté l’EN c’est à cause des réformes incessantes, du mépris, de la maltraitance et de l’incompétence de notre hiérarchie mais surtout pas à cause des élèves !

Aujourd’hui, 2 novembre 2022, un mois après mon départ, je m’agite avec assurance maladie, banque, impôts, etc., car dans moins de 3 semaines je pars chercher un magnifique bateau à Capetown en Afrique du sud pour l’emmener au sud des Caraïbes. Une navigation d’environ 3 mois en comptant les escales (Ste Hélène, Fernando de Noronha —le plus bel archipel du monde d’après de nombreux témoignages, Grenada Island) ensuite tout l’arc sud caribéen pour rejoindre la Martinique et rentrer à Saint-Nazaire.
J’ai quitté l’EN pour faire ce genre de choses et là, j’ai désormais peu de regrets.

Pierre

Notes

[1REP+ réseaux d’éducation prioritaire renforcé, La Chesnaie Quartier populaire nazairien

[2Certificat d’aptitude professionnel enseignement adapté et élèves en situation de handicap, devenue aujourd’hui CAPPEI : aptitude aux pratiques de l’école inclusive...

[3Syndicat du premier degré de la FSU

[4Direction des services départementaux de l’éducation nationale

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