CA 326 Janvier 2023
mercredi 18 janvier 2023, par
Nous poursuivons ici les questions abordées dans Courant Alternatif 325, sur l’école et son devenir, plus particulièrement sous l’angle du « malaise » enseignant.
Le déficit chronique de candidatures aux différents concours de professorat ces dernières années est assez connu, et fait périodiquement la une des gazettes. Aux concours de 2022, 4000 postes n’avaient pas trouvé preneurs, et il semble bien que le phénomène sera identique cette année à quelques dizaines d’unités près.
Le métier de prof n’attire plus. Les raisons sont multiples, depuis la faible attractivité des salaires, jusqu’à la pénibilité croissante d’un travail de plus en plus bureaucratisé et constamment perturbé par des réformes incessantes, en passant par les contraintes d’affectations liées au statut de fonctionnaire, jusqu’à la peur des classes populaires qui présente l’école comme le dernier rempart de la civilisation face aux hordes de sauvageons prêtes à déferler sur la culture et l’identité nationale.
Si de moins en moins de jeunes souhaitent devenir enseignants, un certain nombre de ceux qui le sont déjà quittent le navire. Ainsi les démissions sont en hausse constante depuis une décennie. Si les chiffres sont compliqués à obtenir car les données sont académiques, les dernières enquêtes indiquent que le nombre de démissions a été multiplié par 4 en 10 ans, soit 600 personnes en 2010 et près de 2300 en 2021. Sur un total de 800 000 profs, cela peut sembler dérisoire, mais tous les personnels de l’éducation connaissent dans leur entourage des collègues qui tentent la démission, une reconversion, une rupture conventionnelle, ce qui est un parcours semé d’embûche et souvent refusé, comme l’atteste le témoignage que nous publions ci-dessous.
Pour avoir une idée précise de la désertion des estrades, il faudrait ajouter à ces démissions comptabilisées chez les seuls titulaires, les stagiaires qui renoncent à leur titularisation (multiplié par 3 en 10 ans), les non renouvellements de contrat chez les contractuels dont le nombre a augmenté de 26% pour les profs du public en 5 ans. Pour les titulaires, il faudrait également ajouter les 24.000 personnes qui chaque année demandent une disponibilité, soit un congé sans solde qui peut durer jusqu’à 3 ans. Bref, au total, tout cela fini par faire beaucoup de monde et va bien à l’encontre de l’idée reçue du métier d’enseignant qui serait une niche où l’on travaille peu : 18h devant élève par semaine dans le secondaire et 16 semaines de vacances par an. Présenté ainsi la carrière certes peut sembler alléchante, mais recouvre des réalités très disparates.
Car, ce malaise enseignant ne peut être envisagé d’une façon uniforme. Il n’y a pas de démissions dans les classes préparatoires ni dans les lycées de centre ville, et les difficultés à enseigner sont très différentes selon le lieu et le type d’enseignement. En revanche ce qu’il est intéressant de soulever c’est que le phénomène affecte de plus en plus le premier degré, tant l’écart est grand entre la vision idéalisée du maître ou de la maitresse qui subjuguent les petits enfants, et la réalité de l’élevage en batterie de 30 bambins par classe en maternelle.
Les personnels de l’Éducation nationale
- 1 202 000 personnels relevant de l’enseignement scolaire au MENJS (879 000 femmes, 322 500 hommes)
- 936 400 titulaires et 258 700 non-titulaires
- 898 400 enseignants (45 % dans le premier degré et 55 % dans le second degré)
- 754 900 enseignants dans le secteur public ; 143 500 enseignants dans le secteur d’enseignement privé
- 296 800 non-enseignants (6 % de personnels d’encadrement, 68 % de personnels de la vie scolaire, 22 % de personnels ASS (Administratif, santé-social), 4 % d’ITRF (recherche et formation))
- 400 étudiants en préprofessionnalisation pour le métier enseignant
- 7 % de l’ensemble des agents sont à temps partiel
L’école manque de profs et la crise des vocations semble inquiéter au niveau du ministère au point que cette année les campagnes publicitaires pour les concours se sont multipliées et les dates d’inscriptions aux dits concours ont été repoussées. Mais paradoxalement le ministère continue à supprimer des postes : 1.165 postes d’enseignants en moins à la rentrée de septembre 2023, en équivalent temps plein, soit dans le détail, 667 postes de professeur pour les écoles et 498 dans le second degré.
Ce qui pour le second degré porte à plus de 8300 le nombre de postes supprimés en 6 ans. Cherchez l’erreur ?
Il y a bien sûr l’explication économique et la volonté d’une résorption de l’emploi public. La doxa économique depuis plusieurs décennies est de supprimer des postes de fonctionnaires d’État et puisque l’éducation nationale représente la moitié de leur effectif, il est logique qu’elle en fasse les frais. Dans ce cadre, l’argument démographique est le leitmotiv : la baisse du nombre d’enfants scolarisé impliquerait automatiquement la baisse du nombre de profs, là où la qualité de la prise en charge pédagogique exigerait plutôt une baisse des effectifs par classe.
Mais il y a aussi une double dynamique qui préside aux destinées du devenir prof : le besoin de contrôle et le développement des technologies numérique d’apprentissage. Comme l’a montré la crise sanitaire, il est moins besoin de transmettre des connaissances et doter les élèves d’une culture commune que de garder les enfants pour que les parents puissent être au travail. Pour cela, nul besoin de personnels enseignants solidement formés à la didactique et à la pédagogie, des adultes vigilants suffisent.
Il reste bien sûr une frange de la jeunesse à former pour être rentable et performante sur le marché du travail, mais pour celle-là, le développement de l’enseignement privé ou des voies d’excellence du public répondent à la commande, de la maternelle à l’Université. Par ailleurs, les différentes mesures gouvernementales qui ont considérablement réduit l’autonomie pédagogique des enseignants ces dernière années (choix des méthodes, des progressions pour réaliser le programme défini nationalement), font que l’enseignant n’est plus concepteur de son cours et que de simples répétiteurs suffisent.
Quant au besoin d’individualisation et d’accompagnement des progressions, les différentes intelligences artificielles développées dans le cadre du E-learning sont jugées aujourd’hui beaucoup plus efficaces et tellement plus conviviales… Alors les profs bientôt remplacés par des machines ? Nous aborderons la question dans un prochain article.
Saint-Nazaire
le 22/12/2022
Lectures à signaler
- Marion HONNORÉ
LES COURS EN VISIO ME DONNENT ENVIE DE MOURIR
Le Monde à l’envers, 2022, 80 p.
- Renaud GARCIA
LA DÉCONSTRUCTION DE L’ÉCOLE
La Lenteur, 2022, 140 p.Pour en savoir plus sur ces 2 ouvrages consultez la recension croisée qu’en a faite Sébastien NAVARRO sur le site acontretemps.org.