CA 326 Janvier 2023
samedi 21 janvier 2023, par
Interview du collectif de précaires à Lille qui s’est constitué récemment et qui a organisé fin octobre, une action pour lutter contre la réforme du chômage et du RSA-activité.
CA : Tout d’abord, pouvez-vous revenir sur l’action du 31 octobre dernier et sur qui vous êtes ?
En octobre les grèves (notamment des raffineries) ont foutu pas mal de gens dans les rues. A la fin d’une manif on s’est retrouvé en AG à se demander ce qu’on pouvait faire dans ce mouvement. De là, la question de la réforme chômage et le harcèlement des allocataires RSA a été posée. Pas mal d’entre nous étaient confrontés à ces dispositifs de contrôle, du coup assez spontanément nous est venu l’idée d’aller faire un tour dans les tout-nouveaux locaux du département, la MDIE (maison départementale de l’insertion et de l’emploi). C’est la nouvelle instance de contrôle social prévue pour nous harceler et bien sûr nous radier si on ne courbe pas l’échine. D’autant que trois jours avant qu’on aille leur rendre visite, le président du département se la racontait dans un tweet en disant qu’il était heureux d’annoncer, avec le ministre du travail que le Nord allait être un département test pour faire bosser gratos les allocataires du RSA, 15 à 20h par semaine, s’ils veulent garder leurs allocations. Donc, à une vingtaine, nous sommes allés à la MDIE, on a chanté, distribué des tracts aux employé-es mais aussi aux allocataires avec qui on a pu discuter. Au bout de 15 minutes on est ressorti, se disant qu’on s’était fait entendre de la direction.
CA : Depuis l’action, y-a-t-il de la répression ?
Après l’action les flics ont écrit une dépêche reprise par l’AFP qui expliquait que le département avait organisé une cellule psychologique en inventant qu’il y avait eu des violences, ce qui n’a bien sûr pas été le cas. Le département a porté plainte, la police scientifique est venue faire « des prélèvements » pour nous identifier… Ça nous a doucement fait rigoler, mais surtout on s’est dit qu’on touchait à une corde sensible et qu’ils n’avaient pas du tout envie que des précaires s’organisent. Par leurs communiqués mensongers dans la presse, ils ont voulu nous intimider et dépolitiser notre action, mais au final cela a provoqué l’effet inverse : des messages de soutien nous sont parvenus de collectifs à travers toute la France et des médias camarades ont diffusé notre contre-communiqué.
CA : Aujourd’hui, deux mois après, quel est votre bilan de l’action et quelles sont les perspectives de votre collectif ?
Nos perspectives…la fin de la misère et de l’exploitation ! Et continuer à proposer des AG et des actions collectives !
CA : Peut-on vous rejoindre ? Vous aidez ? Y-a-t-il des passerelles avec d’autres collectifs locaux ou nationaux ?
Oui, on reprendra les réunions à la rentrée de janvier, et des contacts au niveau national sont en cours.
CA : Dans votre communiqué, vous défendez bien évidemment les bénéficiaires du RSA - en rappelant que ce n’est pas le Pérou - mais vous dîtes aussi que « nos intérêts sont communs avec ceux des salarié-es car sans RSA c’est les salaires qui seront tirés vers le bas ». Pouvez-vous détailler vos analyses et revendications et parlez des convergences réalisées ou possibles avec le « monde du travail » ?
Même si les précaires sont les premiers à prendre leur plan de paupérisation en pleine gueule, tout le monde sait que l’inflation touche l’ensemble des salarié-es, et que le patronat a comme objectif constant de baisser le « coût du travail ». Sans RSA ce sont des millions de personnes qui seront obligés d’accepter des boulots de merde, payés des miettes, et bien sûr ça fera baisser dans son ensemble le coût de la main d’œuvre. Au sein du collectif, nous n’avons pas toutes et tous le même statut, certains sont au RSA, d’autres au chômage, en contrats à mi-temps ou ayant l’AAH (allocation adulte handicapé). En tout cas, nous sommes tous des travailleurs précaires et nous connaissons le monde du travail et sa pression sociale. De plus, certain-es d’entre nous ont pris part aux différents mouvements sur les réformes du chômage ces dernières années, parfois en lien avec
les intermittent-es. Ils étaient aussi présent-es à l’action à la MDIE.
CA : Toujours dans ce communiqué, vous posez la question de « savoir se vendre … mais pourquoi ? » en citant notamment la crise climatique en cours. Vous voulez une rupture avec le capitalisme, « pour changer radicalement nos modes de production ». Quelles sont vos inspirations et idées dans ce sens ?
Depuis que nous sommes nés, nous entendons à intervalle régulier que le capitalisme est en crise ... Ce que nous observons autour de nous, c’est avant tout une paupérisation des prolos et en parallèle un marché du luxe qui se porte à merveille, du moins pour l’instant. Mais plus que jamais nous ne pouvons-nous limiter à appréhender la lutte qu’à travers les thèmes d’une « meilleur répartition des richesses ». Il est clair qu’au sein du capitalisme, les moyens de production ne peuvent avoir d’autres objets que de servir un régime d’accumulation infini totalement incompatible avec les impératifs qu’imposent le changement climatique. Plus longtemps la bourgeoisie dirigera ce monde pire sera la catastrophe ! Il ne peut en être autrement dans le régime d’accumulation et de
concurrence qu’est le capitalisme. Si la survie de l’humanité est désormais questionnée, les conditions de survie d’une partie du prolétariat mondial sont déjà engagées. Donc, dans la même dynamique, s’ajoute à la question de l’émancipation de l’exploitation une question de survie.
Il est temps de partir à l’assaut du ciel, avant qu’il ne nous brûle !
CA : On se prépare à des nouvelles attaques bourgeoises contre l’assurance-chômage, les retraites. Quelle est votre lecture de la période ? Côté capitalistes mais aussi dans notre camp qui doit se préparer à résister.
Espérons que cet hiver soit chaud… Face à l’offensive bulldozer du capital, on n’a pas d’autres choix que de s’organiser collectivement pour ne pas être seul-e face à tout ça, et surtout pour avoir plus de force et d’impact.