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CA 332

Existe-t-il encore des perspectives syndicales ?

vendredi 28 juillet 2023, par Courant Alternatif


Après la lutte contre la réforme des retraites, faut-il jeter les syndicats avec l’eau du bain de la défaite ? La réponse « oui » est très tentante, tant l’issue du mouvement de 2023 conforte le syndicalisme comme un rouage de cogestion de la société de classe et de sa contestation, plutôt que comme un outil d’émancipation sociale. Pourtant il semblerait que cette bataille perdue ait restauré une certaine confiance dans les syndicats, ce qu’attesterait une vague d’adhésions sans précédant.

Des adhésions par centaines…

L’ensemble des composantes de l’intersyndicale comptabiliserait 100.000 nouvelles adhésions depuis janvier 2023. La CFDT (610.000 membres), revendique 45.000 adhésions pour 2023, soit en un semestre 30% à 40% de plus que l’année précédente. De son côté, la CGT (640.000 membres) annonçait 30.000 nouveaux contacts et demandes d’adhésion en trois mois, dont 4.500 via son site internet, soit un gain de 200% comparativement à janvier 2022. Pour sa part FO (380.000 cartes) ne donne pas de chiffres globaux mais fait état d’une doublement des prises de contacts, et annonçait en mars « qu’au cours des premières semaines de 2023, le niveau des demandes d’adhésions adressées à la confédération est quasi à la moitié de celui de 2022, qui était déjà une très bonne année avec 4.700 demandes ». Voilà pour les 3 principales confédérations.

L’UNSA (200.000 membres) assure avoir trois fois plus de demandes depuis janvier que sur la même période en 2022. Solidaires, qui revendique100.000 affilié·es, estimait en mars à 3.000 le nombre de personnes à avoir rejoint des syndicats SUD, dont 1000 pour le seul SUD-Education. La FSU (160.000 membres) estime à plus de 1.500 le nombre de nouvelles cartes dans l’éducation nationale, ce qui sera à confirmer à la rentrée. La CFTC (140.000 membres) parlait d’une augmentation de 133% des demandes d’adhésion en janvier et 175% en avril. La CFE-CGC (170.000 adhérents) ne donne pas de chiffres mais déclare « ce mouvement social historique nous a permis d’engranger un surplus d’adhésions sur le premier trimestre 2023. »

Quelque soit la boutique, il semble bien que la clientèle augmente. Cela est toutefois à relativiser, car le regain d’adhésions annoncé à ce jour ne devrait pas inverser la courbe de désyndicalisation qui est un trait marquant de la réalité salariale en France depuis 50 ans. Depuis la fin des années 60, le taux de syndicalisation y a été divisé par quatre pour atteindre aujourd’hui 10,3% de syndiqués, taux qui tombe à 7,8% si l’on ne considère que le secteur privé. Ce taux devient quasi nul dans les boites privées de moins de 50 salariés, qui emploient pourtant près de la moitié de la population active hors fonction publique [1].

D’autant que, « la plupart du temps, on observe plus de sorties que d’entrées. Les syndicats ont un peu tendance à être des « paniers percés ». Si l’on en croit la dernière enquête de la Dares [2], les taux de syndicalisation en France s’effritent encore (autour de 10,3% des salariés) et, plus inquiétant encore, parmi ceux qui adhèrent, près de 60% disent ne jamais participer à la vie de leur syndicat » [3].

Remarquons que le total des syndiqués revendiqué par l’intersyndicale (hors mouvements de jeunesse) s’élève à 2 millions 400 mille personnes, et qu’il n’y a guère que le 7 et le 23 mars que les manifestants ont dépassé les 2,5 millions. Les chiffres des autres journées de mobilisations nationales s’échelonnant entre 1,2 million et 2,3 millions pour s’étioler à 900.000 le 6 juin. De là à en conclure avec Stéphane Sirot qu’effectivement 60% des syndiqués ne participent jamais à la vie de leur syndicats, au point de ne même pas sortir les jours de manifs, il n’y a qu’un pas [4]. Comment dans ces conditions espérer qu’un appel à la grève générale soit suivi par les syndiqués ? Et l’on peut mieux comprendre la frilosité de l’intersyndicale à ce propos, et mesurer l’erreur de l’analyse de « la trahisons des directions syndicale » qu’il conviendrait de remplacer par une « bonne » direction.

Donc si pour l’instant les centrales se félicitent d’un engouement retrouvé pour le syndicalisme et affirment que le rapport de forces se construit, peu d’éléments indiquent que cette tendance se confirmera à terme. Impossible également de savoir quelles conséquences cette syndicalisation aura en terme de mobilisations et d’actions. Mais ces faits et ces chiffres posent bien la question de l’intérêt et de la nature de la syndicalisation actuellement, et de ses nécessaires évolutions si le syndicalisme veut renouer un jour avec des victoires dans l’affrontement contre l’État et le Capital.

Adhérer au syndicat ou militer syndicalement ?

Un fait nouveau dans cette vague de syndicalisation est la prise de contact par internet, via les sites des centrales, des syndicats, ou des unions locales. Deux hypothèses en découle. L’influence de réseaux sociaux conduit à adhérer au syndicat comme on signe une pétition en ligne, comme on finance un projet contributif ou une caisse de grève. L’adhésion n’aurait finalement qu’une valeur de soutien, que l’on préfère exprimer en ligne, plutôt qu’en contactant un·e syndicaliste, la section de sa boite ou l’union locale de sa ville. Une telle attitude confirmerait les processus d’individualisation et la dépolitisation des expressions.

Cela peut aussi signifier que les personnes qui prennent contact en ligne sont isolées, sans syndiqué dans leur entourage, et alors cette syndicalisation pourrait annoncer une percée dans les « désert syndicaux » que sont les petites boites de moins de 50 salariés évoquées plus haut, certains secteur clé comme la logistique, ou certaines conditions particulière du salariat comme la sous-traitance ou l’intérim. Dans cette hypothèse cette re-syndicalisation ouvrirait quelques perspectives optimistes répondant pour partie aux préoccupations exprimées ici ou là :

« Le syndicalisme d’entreprise (…) n’est plus du tout en adéquation en particulier avec la structure du salariat et l’implosion des collectifs de travail sous l’effet de la sous-traitance en chaîne d’aujourd’hui.
Le syndicalisme d’industrie regroupant sur une base territoriale les travailleuses et les travailleuses d’une même branche, par exemple le commerce, la métallurgie, le bâtiment, pourrait être un élément de réponse à ce défit. Cela permettrait de mutualiser les moyens syndicaux et d’offrir un véritable cadre pour organiser les travailleuses et les travailleurs de toutes ces petites entreprises. D’un autre coté, organiser toutes celles et ceux qui travaillent sur un même lieu de travail mais avec des employeurs différents – on pense aux syndicats de site, expérimenté à la CGT de façon très parcellaire – permettrait aussi de reconstruire des communautés de travail et de contrecarrer les divisions.
 » [5]

La percée d’un syndicalisme dans les désert syndicaux reste à voir, mais semble peu probable compte tenu de l’atomisation du salariat, alors qu’elle serait effectivement nécessaire. Elle serait également favorisée par une réorganisation des structures syndicales non plus à l’échelle d’un métier ou d’une corporation, mais à l’échelle des unités de vie que sont les quartiers ou les territoires.

Cette perspective est celle défendue de longue date par le syndicalisme-révolutionnaire qui préfère les syndicats d’industrie regroupés dans des bourses du travail, aux syndicats de métiers structurés en fédération. Cette vieille recette pourrait être actualisée en recentrant une action syndicale à l’échelle d’un territoire, celui des Unions Locales. Cependant les U.L., quand elles existent encore, n’ont pas trouvée cette fois leur autonomie d’action, restant inféodées aux Unions départementales ou aux Fédérations nationales, elles mêmes tributaires des déclarations de l’intersyndicale nationale dont il ne fallait pas ébranler « l’unité ». Cet attentisme des U.L. vis-à-vis des strates supérieures est à relier à l’absence de structures interprofessionnelles (type AG interpro) à l’échelle locale contrairement à 2019. Et s’il y a bien eu des initiatives pour faire vivre localement la lutte entre 2 journées d’actions, cette autonomie d’action n’a jamais débouché sur une autonomie de revendication permettant de dépasser le mot d’ordre du refus des 64 ans.

Les média mégaphones syndicaux ?

Que signifient les louanges des médias sur l’intersyndicale ? De 1995 (mouvement contre la réforme des retraites) à 2019 (projet des retraites à points), en passant par 2003 (alignement à 40 annuités pour le public), 2005 (référendum du traité de Maestrich), 2010 (report de l’âge de départ à 62 ans), 2014 (augmentation progressive du nombre d’annuités) ou 2016 (loi travail), les syndicats encore un peu combatifs étaient décriés comme des structures passéistes, rétrogrades, conservatrices, et désignés comme obstacles à la modernisation économique et au progrès social par la plupart des médias. Seules la CFDT et ses alliés « réformistes » (UNSA, CFTC, CGC-CGE) trouvaient grâce aux yeux la pensée médiatique dominante [6].

Aujourd’hui, le concert des média est unanime pour saluer l’unité de l’intersyndicale, le sursaut d’une démocratie sociale nécessaire à l’expression du ressentiment populaire, le sérieux des contre-propositions contre une réforme injuste pour la population. Et ces mêmes médias de faire état, et de donc de promouvoir, l’augmentation des adhésions syndicales. A titre anecdotique, mais significatif, un exemple concret. Mon syndicat a été contacté par la presse locale avant la manifestation du premier mai pour rencontrer un néo-syndiqué, de préférence une jeune femmes, qui aurait accepté de témoigner de ses motivations. Nous n’en avions pas sous la main et nous avons décliné. Mais il suffit de consulter la presse quotidienne régionale pour y trouver nombre de ces portraits de néo-syndiqué·es, qui vantent leur confiance dans le syndicalisme ainsi réhabilités.

Cette inversion du discours médiatique sur l’action syndicale répond à une crainte de la radicalisation des modes d’action et de pensée de ces dernières années. La presse, et le gouvernement, n’ont eu de cesse de féliciter l’intersyndicale pour la bonne tenue de la contestation respectable et pacifique. Car des franges de plus en plus importantes de la population échappent aux codes ritualisés de « l’action syndicales » et ne craignent plus ni l’affrontement, ni le débordement, sur le terrain du travail, ou sur celui de l’environnement. Le capital tente d’anéantir le rapport de force syndical en orchestrant son impuissance, mais en même temps cherche à pérenniser des partenaires sociaux avec qui il faut feindre de négocier, pour maîtriser le feu de la contestation.

Il y a un moment où les directions syndicales devront clairement afficher leurs fonction : pacificateur sociaux ou artisans de la lutte des classes ? Car le moment orwellien de la double pensée « vaincre c’est perdre en négociant la défaite » [7] pourrait accroitre encore leur discrédit, malgré les tentatives de réanimations observées ce printemps.

… Des désillusions par milliers ?

Il aura fallu une dizaine de jours à l’intersyndicale pour tirer le bilan de la 14ème manifestation contre la réforme des retraites du 6 juin 2023, pour déclarer dans un communiqué laconique : «  L’intersyndicale et les manifestants n’ont pas réussi à faire reculer le gouvernement sur le passage de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, mais nous ne tournons pas la page. » [8]

Elle trouvera néanmoins une consolation dans cette défaite : « L’expérience des 10 mois passés a démontré que l’unité des organisations syndicales professionnelles et de jeunesses sur des revendications communes permettait de construire le rapport de force (...) L’intersyndicale que nous avons construite depuis juillet 2022 est une force. Elle a déjà démontré sa capacité à agir ensemble par ses revendications et par la mobilisation quand cela s’est avéré nécessaire. Cette force saura se mobiliser dans les mois qui viennent pour revendiquer le progrès social et pour affronter les politiques de régression sociale au niveau national, y compris dans le cadre d’une manifestation européenne.  »

Cette déclaration du 15 juin, c’est un peu l’alliance de la méthode Coué et de la tautologie : nous sommes une force, qui n’a pas suffit, mais qui un jour prochain suffira, puisque nous avons construit un rapport de force qui n’a servi à rien mais qui permettra aux « salarié·es avec leurs organisations syndicale, à revendiquer, à négocier et se mobiliser pour gagner des augmentations de salaires. »

« Revendiquer, négocier, mobiliser ». Ce triptyque de l’action syndicale exclu soigneusement le registre de la grève, qui reste pourtant le moyen le plus efficace pour gagner, ainsi que l’a encore démontré la ténacité des salariés de Vert Baudet qui ont arraché une augmentation de salaire après 75 jours de grève...

Plus grave me semble-t-il les perspective de négociations annoncées sur les retraites complémentaires. « La future négociation sur les retraites complémentaires Agirc Arrco prévue à l’automne, tout comme celle de l’assurance chômage, seront des enjeux très importants dans lesquelles nos organisations pèseront de tout leur poids ».
Il s’est dit pendant ce mouvement que la réforme Borne-Macron avait pour but principal de baisser le niveau des pensions du système de répartition, pour favoriser les stratégies individuelles de compensation (assurance vie, retraites complémentaires) pour ceux et celles qui en auront les moyens. Et tout en constatant sa défaite, l’intersyndicale consacre la victoire du Capital en acceptant justement de négocier sur les formes de ces complémentaires...

Sauver le malade ou tirer sur l'ambulance ?

En 2019, une étude européenne entrevoyait quatre scénarios d’évolution du syndicalisme [9]]

  • L’extinction du syndicalisme par la poursuite d’une désaffection sociale progressive et massive ;
  • Le repli sur la défense de quelques catégories salariales protégées, par l’incapacité de s’adapter aux mutations du travail et aux nouvelles formes d’emploi, non régulées et précaires ;
  • Le remplacement de l’action syndicale par l’émergence de nouvelles formes d’expression collective, portées par les pouvoirs publics et les employeurs (la fin du paritarisme et du partenariat social) ; ou issues de mouvements horizontaux comme les Gilets Jaunes ; 

  • Le renouveau : tirant les leçons de leur déclin, les syndicats seraient capables de se renouveler afin de retrouver une place dans le monde du travail et la société démocratique. 


Il est trop tôt pour déceler vers laquelle de ces perspectives va influer le mouvement du printemps 2023. Quelques remarques néanmoins.

L’extinction semble peu probable, le développement ces dernières années d’un syndicalisme « d’expertise » qui fourni une caution démocratique pour l’accompagnement des mutations du salariat est bien trop précieux pour l’Etat et le Capital. Le passage de la CFDT devant la CGT aux dernières élections professionnelles en est une trace. Ce « syndicalisme de ressources », impliqué dans le « nouveau management et la gestion des ressources humaines » s’accompagne très bien du recul constaté de la présence syndicale sur les lieux de travail au profit de « cabinet de conseil » en relation sociale. Mais est-ce encore du syndicalisme ? L’extinction est aussi affaire de génération, dans la mesure ou les retraités compte aujourd’hui pour 13% des effectifs des syndicats, pourcentage lui en hausse régulière.

Le repli sur certaines catégories de salariés est déjà effectif et en constante progression comme nous l’avons souligné à propos de l’écart de syndicalisation entre secteur publics et privé. Il est cependant concomitant de l’extinction en raison des différentes lois sur la représentativité (ordonnances Macron de dans l’entreprise (fin des CHST et des CE au profit d’une instance unique le Comité social et économique).

Le remplacement est une tendance hésitante. On peut établir une filiation directe ente le mouvement des Gilets jaunes et la multiplication des AG interpro dans le mouvement de 2019. Néanmoins leur absence en 2023 traduit bien l’extrême volatilité de ce phénomène, sa difficulté à transmettre des pratiques et des cultures de lutte et à les inscrire dans la durée. L’émergence d’une « autonomie de la base » avait déjà été constaté dans la dynamique des coordinations des années 80, qui finalement se sont fossilisée dans les syndicats SUD pour devenir des micro bureaucratie, certes combatives et sympathiques, mais qui ne parviennent pas à réunir une masse critique suffisante pour peser réellement dans l’affrontement de classe, et sombrent régulièrement dans l’affrontement interne entre aspirants bureaucrates, comme vient encore de le montrer le congrès de SUD Education 93 par exemple.
Cette question est à relier à celle de la perte de la centralité du travail dans l’organisation structurelle du capitalisme pris comme système global, et non comme seule organisation économique. La prédominance actuelle des enjeux environnementaux et des luttes de territoire dans la lutte contre le capital et ses restructuration permanente (la transition vertes) annonce peut être un dépassement des syndicats par les collectifs des luttes de sites ou la question de « l’habiter ensemble » supplante tout en l’intégrant celle du « produire ensemble du socialement utile ». [10]

Le renouveau. Pour trouver un nouveau souffle, refonder un syndicalisme de lutte et d’émancipation, et non pas d’accompagnement des mutations économiques, écologiques et sociales, la question d’une articulation dialectique du travail et du territoire est incontournable. La perspective de recentrer les organisations syndicales sur des unions locales existent mais ne parvient pas à s’affranchir des structures bureaucratiques propres à la culture syndicale dominante depuis un siècle. Encore faudrait-il que la défense du travail ne soit pas confondu avec celle de l’emploi, qui entretient la fable selon laquelle nos intérêts seraient les mêmes que ceux des patrons.

Encore faut-il également retrouver une identité et une conscience de classe sur lesquelles construire une appropriation politique des enjeux sur les combats à mener. Faut-il aller jusqu’à « remettre en question notre vision du mouvement ouvrier, centré autour de la grève comme point nodal de la lutte des classes ? » ainsi que le pose le texte « Quelle “démocratie” dans les luttes, face à un pouvoir en tension ? » sorti des débats de la commission journal de Paris ? [11] Un certains nombre de voix considèrent que 14 jours de grève consécutifs auraient certainement construit un rapport de force plus conséquent que 14 journées de mobilisations dispersées sur 6 mois. C’est probable.
Encore faut-il être en mesure de rendre la grève désirable et en capacité de la construire, et cela ne sera possible qu’à travers un renforcement de structures collectives autonomes et conscientes, qu’elles soient syndicales ou autres.
Ne plus confondre travail et emploi, retrouver une identité et une conscience de classe, rendre la grève désirable et la construire, ce serait presque une amorce de programme révolutionnaire. Cela ne passera que par un travail de re-politisations des enjeux, en accentuant partout où nous sommes les antagonismes de classes. La tâche est immense, mais il n’est d’autres choix que de s’y atteler, ou de continuer à subir le joug de l’exploitation, de la soumission jusqu’à l’extinction programmée de l’humanité.

Saint-Nazaire
26 juin 2023

La lutte des classes et le syndicalisme
« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes », déclarait Marx. Avant lui, la lutte des classes avait été reconnue par des révolutionnaires comme Proudhon ou Babeuf, mais aussi par des économistes bourgeois comme Guizot. L’originalité de Marx réside dans le fait d’affirmer que les classes sont liées à des phases précises du développement des forces productives ; et que la lutte des classes, dans les sociétés industrialisées, déboucherait automatiquement sur une phase transitoire (la dictature du prolétariat) vers une société sans classes. Si nous sommes d’accord avec le premier point, nous ne partageons pas, en revanche, la vision linéaire de l’Histoire contenue dans le second. Pour nous, le communisme n’est pas inéluctable, et le développement du capitalisme, la constitution d’États-nations, de démocraties parlementaires ne sont pas des étapes obligées vers une société sans classes. Cette vision « progressiste » de l’Histoire a souvent amené les révolutionnaires à participer à l’accélération du développement capitaliste plutôt qu’à sa destruction : à leur corps défendant, ils ont achevé la révolution bourgeoise, c’est-à-dire éliminé le précapitalisme plus que le capitalisme lui-même.
C’est dans ce cadre-là qu’il faut aussi comprendre l’histoire et le rôle du syndicalisme — à la fois comme représentatif d’une volonté émancipatrice des exploités, élément d’intégration et intermédiaire entre le capital et le travail. Le syndicalisme n’est donc à nos yeux qu’un moyen parmi d’autres, concourant ponctuellement à la lutte des classes, que se choisissent des travailleurs selon les moments et les circonstances. Il n’est jamais question pour nous de soutenir sans conditions tel ou tel syndicat, mais simplement d’être présent-e-s là où des travailleurs se battent, lorsque nous jugeons que s’offrent des possibilités de rupture et d’ouverture. Il n’est pas non plus question pour nous de lutter à l’intérieur des appareils bureaucratiques ni d’occuper des postes de direction et de permanents syndicaux. Si radical que puisse être à un moment le combat mené à l’aide de l’outil syndical, nous ne perdons pas de vue qu’il ne saurait être une fin en soi.
OCL « Qui sommes nous »

P.-S.

Le texte publié dans CA 332 est une version abrégée de celui ci.

Notes

[1La population active totale compte 30,1 millions de personnes, 24 millions (80%) dans le privé, 6 millions (20%) dans les fonctions publiques

[2Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques qui produit les statistiques du ministère du travail

[3Stéphane Sirot, Universitaire, spécialiste des mouvements sociaux et du syndicalisme cité dans Le Progrès - 30 avril 2023

[4Il est possible de pinailler en arguant que des syndiqués comme les personnels hospitaliers, voir les flics et les matons (les plus forts taux de syndicalisation de la fonction publique) sont réquisitionnés les jours de grève et de manifs, mais cela ne modifie pas ce constat que « syndiqué ne signifie pas mobilisé »

[5« Syndicalisme : Quel bilan tirer de la séquence de lutte contre la réforme des retraites ? » Plate-forme communiste libertaire. 2 juin 2023.
Sur les syndicats de site expérimentaux voir CA n°177 Interview de l’Union syndicale multi-professionnelle USM-CGT du Chantier naval de Saint-Nazaire

[6Sur les différents mouvements contre les réformes des retraites voir le texte
Les mouvements sociaux contre les projets de réforme des retraites (de 1995 à 2020) paru dans CA 328 mars 2023

[7Cf. Georges Orwell « la guerre c’est la paix », in son roman « 1984 » et le texte de Vanina La désintégration, c’est l’intégration - Réflexions sur une époque bien orwellienne paru dans CA n°323

[8Cette citation et celles à suivre sont tirées du communiqué de l’intersyndicale du 15 juin 2023

[9Cité par Dominique Andolfatto in « Retraites : 14 manifestations plus tard quels scénarios pour l’action syndicale ? » sur The conversation 18 juin 2023.

[10Cf Christine Ross « La forme-Commune – La lutte comme manière d’habiter », la Fabrique, avril 2023.

[11Il me semblait toutefois que cette question était réglée depuis longtemps avec le refus de l’OCL de distinguer entre un front principal (le travail) et des fronts secondaires (féminisme, écologie, antimilitarisme, consommation...), pour affirmer que la lutte des classes traversait l’ensemble des rapports sociaux et ne se cantonnait pas au seul secteur de la production...

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