Accueil > Courant Alternatif > 336 Janvier 2024 > Un sale « même » temps - Editorial de CA 336

Un sale « même » temps - Editorial de CA 336

mercredi 10 janvier 2024, par Courant Alternatif


Edito Courant Alternatif janvier 2024

Un sale « même » temps !

Les fins d’années sont propices aux rétrospectives, et chacun y va de son bilan 2023 pour anticiper les tendances de 2024. Ce coup d’œil rituel dans le rétroviseur permet parfois de discerner ce qui a été important dans l’année écoulée. Car le débit et le rythme de l’information ont tendance à diluer et niveler les évènements qui se succèdent et s’effacent sous le flux médiatique des images en continu. Les nouvelles sont telles un fleuve en crue, qui déborde sur des terres artificialisées, inonde, détrempe, détruit… pour ne laisser au final qu’un flot de boue et d’eau croupie. Situation que connaissent trop bien les populations du Pas-de-Calaisou de Charentes, ainsi que l’exposent nos camarades de Boulogne-sur-Mer (p. 21).

Pour l’année écoulée cette question de l’eau a été au centre des enjeux écologiques et climatiques, avec la lutte contre les bassines mais aussi du fait des précipitations automnales. Elle le restera tout autant, car il s’agit de ne pas laisser le contrôle de l’eau aux capitalistes (p. 22). Et ce n’est pas la conférence sur le climat qui vient de se clore à Dubaï qui nous y aidera. Alors que l’appel final consacre une « transition énergétique hors des énergies fossiles », on apprend « en même temps » que la production de pétrole des États-Unis n’a jamais été si importante qu’en 2023, et que pour 2024 les pays de l’OPEP estiment que la demande augmentera de 2,25 millions de barils par jour. De quoi faire des profits et des recettes pour continuer à bétonner le désert, sans entraves de Dubaï à Riyad.

Il nous faudra donc bien plus que quatre jours contre le béton, quelques aient été les satisfactions suite aux actions menées du 9 au 12 décembre, pour rompre avec les tendances énergivores et mortifères du capitalocène. L’annulation de la dissolution des Soulèvements de la Terre pourra nous y aider. Mais elle ne doit pas faire oublier que la terrorisation démocratique [1] reste à l’ordre du jour ainsi que vient le rappeler le verdict du procès de « l’affaire du 8/12 » (p.18). Cette même justice de classe attend au tournant ceux et celles du « 15 juin » ou de Saint-Soline, dont nombre peinent à se remettre de leurs blessures. Nous aurons bientôt d’autres éco-terroristes à défendre et soutenir.

Dans la bouillie communicante tout se vaut, se rejoint ou s’annule. L’immédiat se substitue finalement au présent, et il devient impossible de séparer le primordial du superflu, tant « le fait divers fait diversion ». Ainsi de la mort du jeune Thomas survenue mi novembre à Crépol dans la Drome. Une rixe d’adolescents un soir de balloche est devenue le drame « qui fait courir le risque d’un basculement de notre société » selon Olivier Véran le porte-parole du gouvernement [2]. Une bagarre qui tourne mal permet ainsi « en même temps » :

  • d’effrayer la France rurale qui avait un temps pensé s’émanciper à coups d’Actes de Gilets jaunes
  • de stigmatiser les quartiers populaires abritant des populations d’origines étrangères « fauteuses de troubles  » ;
  • d’agiter l’épouvantail des milices d’extrême-droite prêtes à déferler dans les rues ;
  • de justifier l’interdiction des manifestations pro-palestiniennes, menaces pour l’ordre public ;
  • d’effacer la mort de Nahel et les révoltes de juin 2023 dans le temps même où la justice libère le policier meurtrier.
  • de réhabiliter la police, rempart républicain face à la violence des foules et aux menées séditieuses ;

Et cerise sur le gâteau du conditionnement médiatique, le climat ainsi entretenu favorisera in finele passage en force de la loi immigration (p. 4), au nom de la lutte contre l’extrême droite (p.11 et p.13) et de la réponse « aux préoccupations des français  ».

Il nous avait semblé que les préoccupations de la population de l’hexagone en 2023 se situaient plutôt du côté de l’emploi, de l’inflation, du pouvoir d’achat, des salaires, des retraites, du droit au logement, de l’égalité entre les sexes, du ras-le-bol de la répression et des violences policières… que de celui de la restriction des droits des étrangers, qui n’est que l’antichambre de la restriction des droits de tous et toutes, pour le plus grand profit des exploiteurs.

La situation internationale n’est pas plus reluisante. Au nom du droit d’Israël à se défendre, la destruction du peuple palestinien a débuté avec l’assentiment des puissances occidentales qui consacrent l’État hébreu dans son rôle de porte-avions du capitalisme au Moyen-Orient. A Gaza bien sûr (p. 29), mais aussi plus discrètement en Cisjordanie et au Sud Liban où les opérations se multiplient ces derniers jours, en menaçant d’embrasement toute la région.

La Françafrique tente de survivre au Sénégal (p. 35). L’État français, en fermant les yeux sur les magouilles de Macky Sall pour maintenir sa clique au pouvoir, s’emploie à préserver une aire d’influence en Afrique de l’Ouest quand le Mali et le Niger ont, semble t-il, réussi à se défaire de leur tutelle impérialiste.

C’est aussi cette redéfinition des zones d’influence des puissances capitalistes qui se joue en Ukraine, où, alors que les combats font rage entre prolétaires des deux camps, les affaires vont bon train entre les futurs reconstructeurs fournisseurs de béton (encore eux) et les fauteurs de guerre qui « en même temps » détruisent et reconstruisent (p. 31). Il est dans ce contexte, bien délicat de tenir une position internationaliste qui refuse la dynamique infernale de la guerre, à l’image de la campagne que mènent, avec leurs faibles moyens, nos camarades de l’initiative Olga Taratuta et leurs relais ukrainiens d’Assembleia (p. 33).

Et encore nous ne disons rien dans ce numéro de ce qui se joue en Argentine contre les classes laborieuses victimes de la « tronçonneuse anarcho-capitaliste » (sic ?) de Javier Milei, de la guerre civile au Soudan, ou de la lutte ininterrompue des iraniennes de « Femmes Vie liberté ».
C’est pourtant la ténacité et la détermination de femmes en luttes, comme celles en grève au Pays Basque (p. 25), qui nous laisse entrevoir un peu d’optimisme et d’espoir.

« L’espoir ? Je ne peux vous répondre qu’une chose : par principe, connais pas. Mon principe est : s’il existe la moindre chance, aussi infime soit-elle, de pouvoir contribuer à quelque chose en intervenant dans cette situation épouvantable, dans laquelle nous nous sommes mis, alors il faut le faire » [3]

A nous de jouer donc, et de contribuer à une indispensable révolution sociale. Car si nous ne choisissons pas rapidement entre socialisme ou barbarie, nous devrons construire le communisme et subir le cataclysme « en même temps ».

Saint-Nazaire
28 décembre 2023

Notes

[1Claude Guillon, La Terrorisation démocratique, Libertalia, 2009

[2Le Parisien, 27 novembre 2023

[3Günther Anders, Et si je suis désespéré que voulez vous que j’y fasse ?, Editions Allia, 2001

Répondre à cet article


Suivre la vie du site RSS 2.0 | Plan du site | Espace privé | SPIP | squelette