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CA 340 mai 2024

Éducation : la stratégie du choc !

vendredi 10 mai 2024, par Courant Alternatif

En décembre 2023 Gabriel Attal, promu depuis l’été Ministre de l’Éducation nationale détaille sa feuille de route : « le choc des savoirs ». Annoncé en octobre et dévoilé comme une réponse aux déclins des résultats de l’école française au baromètre « PISA » (1), le programme fait l’objet de critiques et engendre un mouvement de contestation rampante depuis février.


Un ministre communicant

La conférence de rentrée du Ministre s’était déclinée autour de quelques annonces : une focalisation sur les abayas et qamis pour s’ériger en héraut de la laïcité quand son prédécesseur Pap Ndiaye avait été accusé de communautarisme par une extrême droite déchaînée contre ce ministre à la peau noire ; un appel à l’Union nationale autour de l’école pour conjurer la défiance qu’avait engendrée « l’école de la confiance » de Michel Blanquer ; un peu de flagornerie à l’égard du monde enseignant en feignant d’avoir entendu ses revendications et en replaçant les épreuves du bac en juin ; beaucoup de démagogie envers les parents en instrumentalisant les sentiments sécuritaires autour de la question du harcèlement scolaire devenu le principal problème de l’école...
Tout ce fatras déclaratif permettait de reléguer au second plan les difficultés essentielles de l’école : la pénurie d’enseignants et de remplaçants et donc de temps d’enseignement pour les élèves, du fait d’un métier peu attractif, dévalorisé financièrement et socialement ; l’hypocrisie d’une école dite inclusive qui ne parvient pas à intégrer les élèves en situation de handicap faute de suffisamment de personnels compétents (2) alors que l’éducation spécialisée s’est réduite comme peau de chagrin ; l’accueil d’élèves de plus en plus fréquemment en souffrance psychologique et sociale, peu disponibles pour les apprentissages, et sans encadrement adéquat (personnels médico-sociaux) ; la reproduction des inégalités sociales qui reste le traits distinctif du système scolaire français (3)...
Le début d’année a ainsi connu quelques batailles pour des revalorisations salariales ou des créations de postes, contre le Pacte (4) ou contre la énième réforme de l’enseignement professionnel qui devrait voir s’effacer encore un peu plus l’enseignement général devant les formations en entreprise sous prétexte de rémunérer les lycéens professionnels - à ce jour aucun lycéen n’a encore reçu la moindre indemnité...
Mais l’actualité internationale viendra bouleverser les rituels de mobilisation de l’Éducation nationale et l’assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras le 13 octobre 2023 mettra une chape de plomb sur les velléités de mobilisation du début d’année scolaire. Le traumatisme de ce nouvel assassinat et le déploiement du plan Vigipirate-attentat plongeront le monde enseignant dans un état de sidération que les déclarations d’Attal sur « le choc des savoirs » tireront lentement de son trauma. Il faudra attendre janvier pour que le mécontentement ressurgisse vraiment.

Le choc des annonces

Pour conjurer les mauvais résultats de PISA, Attal annonce donc en décembre une série de mesures qui s’inscrivent toujours dans la même politique réactionnaire : recentrage sur les savoirs fondamentaux dispersés par le pédagogisme, et refondation de l’autorité de l’institution victime du laxisme des enseignants. Le plan décline différentes recettes afin d’« engager une mobilisation absolue pour l’élévation du niveau de nos élèves » (5), un réarmement éducatif en quelque sorte.
La première de ces recettes consiste à redonner du pouvoir aux enseignants en leur rendant « l’autorité de [leur] expertise pédagogique » : supprimer les harmonisations dans les jurys d’examen, et renouer avec la faculté de faire redoubler les élèves. Effet d’annonce avec un « souhait de remettre de l’exigence à tous les étages avec la science et le bon sens comme boussole ». Ce qui entretient la confusion entre autorité et pouvoir, mais flatte les plus réactionnaires des enseignants, au mépris de toutes les études en matière d’éducation et de réussite scolaire, tout en convoquant en même temps la science comme guide !
Puisque tout se joue à l’école primaire, des nouveaux programmes de la maternelle au CE2 sont annoncés, ainsi que des manuels scolaires labellisés et financés par l’État (imposés aux professeurs) dès la rentrée 2024. Les enseignants pourront à nouveau faire redoubler les élèves dès le primaire ou leur prescrire « des stages de réussite durant leur vacances scolaires conditionnant le passage dans la classe supérieure »
Le collège n’est pas en reste : « À compter de la rentrée prochaine, les élèves de 6e et de 5e seront donc désormais répartis en 3 groupes de niveaux pour leurs enseignements de français et de mathématiques. (...) La même organisation s’appliquera pour les classes de 4e et de 3e à compter de la rentrée de septembre 2025 » et une flexibilité horaire pour augmenter les fondamentaux au détriment « temporaire » des autres disciplines sera possible. Le Brevet deviendra un examen de passage en seconde, et les recalés iront faire une prépa-lycée « pour consolider leur niveau, rattraper leur retard et être mieux armés pour la suite ».
Les élèves qui entreront en seconde seront également armés : « accompagnés, à la maison, d’un outil d’IA de remédiation ou d’approfondissement en français et en mathématiques (...) logiciel souverain, (...) généralisé à l’ensemble des élèves de 2de à partir de septembre prochain. La France sera ainsi le premier pays au monde à généraliser à l’ensemble d’une classe d’âge un outil d’élévation du niveau fondé sur l’intelligence artificielle » (6).
Et comme il n’est pas de Ministre de l’Éducation nationale digne de ce nom qui ne réforme le bac, Attal annonce également la création d’une nouvelle épreuve anticipée en première générale et technologique dédiée aux mathématiques et à la culture scientifique pour la session 2026.
Très rapidement c’est l’annonce de la création de groupes de niveau au collège qui focalise l’attention et la critique des enseignants et de leurs syndicats, excepté le SNALC classé à droite et qui se satisfait de la volonté de « redonner un pouvoir de décision aux professionnels que nous sommes » et de la remise en cause du collège unique (7). Assez unanimement les annonces d’Attal sont vécues comme une stigmatisation des élèves en difficulté et la volonté d’accentuer encore la fonction du tri social de l’école, et l’application de vieilles recettes réactionnaires.
Il faut dire que les annonces du « choc des savoirs » couplé au retour de l’uniforme, à la systématisation du SNU, au stage obligatoire en entreprise pour les élèves de seconde sous prétexte de reconquête du mois de juin, à l’éventualité de raccourcir les vacances d’été, à la recréation d’écoles normales pour une nouvelle réforme de la formation des profs, et autres annonces -lancées de ci de là durant les 5 mois et 20 jours passés rue de Grenelle- renouent de plain-pied avec le triptyque école-armée-usine...

La parenthèse AOC et le plan Belloubet

Gabriel Attal rejoint Matignon le 9 janvier 2024, et Amélie Oudéa-Castéra lui succède. Cette nomination surprend, d’autant qu’Oudéa-Castéra conserve ses fonctions aux Sports et aux J.O., mais laisse surtout entendre que l’Éducation reste un domaine spécifique sur lequel Macron et Attal souhaitent conserver la main.
Les prémices d’une mobilisation initiée contre « le choc des savoirs » sont confortées par des polémiques alimentées par une série de bourdes de la nouvelle Ministre à propos de la scolarisation de ses enfants dans le privé, les dérogations à parcours sup dont aurait bénéficié son fils, ses rémunérations à la tête de la fédération de tennis, la démission du Recteur de Paris qu’elle a désavoué, et une série de déclarations méprisantes à l’égard du monde enseignant et du service public d’éducation. Ainsi la mobilisation enseignante initialement prévue le 1er février contre les projets d’Attal, se transforme en une journée de grève plutôt suivie contre la Ministre. Elle est finalement remerciée 8 jours plus tard et remplacée par Nicole Belloubet, ancienne rectrice d’obédience PS, convertie au macronisme au point d’être Ministre de la Justice dans le gouvernement d’Edouard Philippe.
On peut considérer que la manifestation du 1er février a eu la peau d’« AOC », et cela faisait bien longtemps qu’une mobilisation enseignante n’avait pas remporté quelque chose. Toutefois la fonction de fusible a fonctionné car malgré les espoirs d’un sursaut de mobilisation le mécontentement enseignant n’a pas entraîné de court-circuit.

Un volontarisme militant insuffisant

La grève du 1er février a permis un certain nombre de mobilisations conséquentes, avec des assemblées générales telles qu’on n’en avait pas connu depuis longtemps dans de nombreux départements. Les équipes militantes se sont donc consacrées à construire un mouvement pour contrer cette réforme après les vacances d’hiver, décalées selon les académies.

Manifestation du 1 er février 2024

Ainsi par exemple en Loire-Atlantique, dès le 1er février, une AG de 200 personnels de l’éducation projetait une grève reconductible pour les 19-20-21 et 22 mars, le 19 étant annoncé comme une mobilisation pour la revalorisation de la fonction publique et la rentrée des vacances d’hivers étant le 11 mars. Dans le même temps les personnels de Seine Saint-Denis envisageaient de ne pas faire leur rentrée le 26 février, tant pour dénoncer les projets d’Attal poursuivis par Belloubet à quelques subtilités de vocabulaire près (des groupes de besoin et non plus de niveau...) que pour exiger un plan d’urgence pour leur département sinistré scolairement.
Ces mobilisations se sont tenues avec plus ou moins de succès. La Seine Saint-Denis a connu de très fortes mobilisations, avec des manifestations locales de plus de 5 000 personnes comme le 7 mars à Paris, et de nombreux établissements fermés à tour de rôle entre février et avril. La détermination est telle que l’opération Grève de la rentrée a été renouvelée le 22 avril. Mais les conditions matérielles de l’enseignement semblent prendre le pas sur les questions de politiques éducatives, ce qui permettrait, à l’Education nationale de refiler le plan d’urgence à la Région et au département en focalisant sur les locaux et en passant le nombre de postes d’enseignant à la trappe.
La grève reconductible en Loire-Atlantique a été diversement suivie. Loin d’être massive, elle a cependant polarisé l’attention médiatique, et renforcé des liens entre établissements, et avec les parents d’élèves.
S’il y a eu de réelles dynamiques dans plusieurs départements, il manque pour l’instant un véritable relais au niveau national pour que ces mouvements aient une chance de s’étendre. L’intersyndicale de l’éducation annonce une montée nationale à Paris pour le 25 mai. C’est à la fois bien loin, et bien en deçà des enjeux. On assiste à la construction d’un mouvement d’opinion, qui cherche à établir une légitimité sur ses revendications, mais qui pour l’heure n’est pas encore en mesure de structurer un réel rapport de forces. L’Etat se moque des manifestations le samedi, des opérations symboliques et éparses du type nuit des écoles, ou collèges morts. Mais la détermination du monde enseignant ne semble pas suffisante pour enclencher un véritable rapport de forces qui signifierait une grève massive et reconductible qui ne vienne pas s’échouer sur l’échéance des examens...
La crise du système éducatif est bien profonde et ne peut que s’accroître sous les coups d’une bourgeoisie plus que jamais à l’offensive. Les clivages entre les adeptes d’un retour à l’autoritarisme et à la toute-puissance de l’institution scolaire contre la jeunesse nouvelle classe dangereuse, et ceux qui espèrent encore contribuer à l’émancipation intellectuelle et sociale des élèves vont se creuser (8). Les enseignants ne sont pas aujourd’hui plus qu’hier en mesure de poser seuls ces questions politiques ni de stopper le développement d’une éducation à 2 vitesses qui se renforce au moins depuis 1984 et la victoire de l’école privée sur le service public d’éducation. Le fameux dualisme scolaire, avec une école publique dédiées aux classes populaires qu’il convient de dresser pour les soumettre à l’exploitation capitaliste, et un enseignement privé rentable et sécurisé pour les enfants de la bourgeoisie et de ses valets, ne pourra être défait que par un mouvement politique et social d’ampleur qui devra englober bien au-delà du seul monde de l’éducation.

Saint-Nazaire
22 avril 2024

Notes :
1. Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation de l’OCDE qui vise à tester les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques. Cette évaluation se déroule tous les 3 ans, les résultats de l’enquête 2022 ont été publié en décembre 2023 et faisaient apparaitre un nouveau recul de l’école française particulièrement en maths et en compréhension de l’écrit, la plaçant tout juste dans la moyenne des pays de l’OCDE.
2. les AESH Accompagnants d’élèves en situation de handicap, personnels précaires en nombre notoirement insuffisant. Cf.Grève nationale des AESH, courant Alternatif n° 314 novembre 2021
3. Un des enseignements de PISA 2022 sur les inégalités sociales est que « La France est toujours l’un des pays de l’OCDE où le lien entre le statut socio-économique des élèves et la performance qu’ils obtiennent au PISA est le plus fort »
4. Nouveau système de rémunération des heures supplémentaires présenté comme une revalorisation salariale cf le Pacte, « je vais vous faire une offre que vous ne pouvez pas refuser » in CA n°333, octobre 2023
5. Sauf indication contraire les citations entre guillemets de ce paragraphe sont extraites du Dossier de presse du mardi 5 décembre 2023 « Le choc des savoirs. Elever le niveau de notre école »
6. Cf. A l’école des robots CA n° 331, juin 2023
7. Communiqué du SNALC du 5 décembre 2023
8 Cf. le discours d’Attal de Viry-Châtillon du 18 avril sur la « violence des jeunes »

P.-S.

Sur l’école et l’éducation dans Courant Alternatif
La brochure « L’école, fille et servante du capitalisme » de l’OCL
« Quelques éléments sur la privatisation de l’Éducation Nationale », dans Courant Alternatif 301, juin 2020
« Le capital à l’assaut des lycées professionnels » dans Courant Alternatif 324, novembre 2022
« Éducation : d’un pape à l’autre », Courant Alternatif 322, été 2022
« Où va l’école ? », Courant Alternatif 325, Décembre 2022

et bien sur, encore disponible ou téléchageable en ligne le numéro spécial l’École entre domination et émancipation

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